Introduction
Pour bien comprendre le régime politique dans lequel nous nous trouvons, régime qui porte officiellement le nom de République Française, et qui est souvent présenté comme une démocratie représentative, il est bon de s’inspirer du livre de Bernard Manin qui s’intitule « Principes du gouvernement représentatif. La connaissance de ce livre sera d’ailleurs utile pour ceux qui voudraient poursuivre leurs études en fac de droit ou en instituts d’études politiques (IEP).
Ce livre est dense, et je réaliserai cette année plusieurs articles à son sujet. Pour commencer, il me semble bon d’opposer deux types de régimes : les régimes souvent désignés par l’expression de démocraties directes et ceux qui peuvent justement être désignés par l’expression choisie par Bernard Manin de gouvernements représentatifs. Pour éviter une confusion trop fréquente, il est bon de rappeler que ce que nous pouvons appeler avec Max Weber, démocraties directes, ne correspond que rarement à ce que les médias ou certains livres désignent par ce mot. En effet, la démocratie directe qui consisterait à ce que tout le peuple participe à toutes les décisions politiques, n’a jamais existé. Appelons cette forme de démocratie directe, démocratie ultra-directe. L’erreur serait de croire que la démocratie directe que nous allons voir plus loin correspondrait à la concertation de l’ensemble du peuple pour l’ensemble des décisions. Il faut donc bien distinguer la démocratie directe de la démocratie ultra-directe.
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Le sens du mot « démocratie »
Déjà rappelons que le mot démocratie vient du grec démos qui signifie peuple et kratein qui signifie dominer, avoir l’autorité, prévaloir au combat ou dans une assemblée. La démocratie, c’est donc le régime politique dans lequel le peuple domine. La proximité en grec ancien du nom commun krátos qui signifie prévalence, avantage, pouvoir et de l’autre de l’adjectif kratús qui signifie dur, brutal, cruel, pénible, ainsi que le souvenir des révolutions françaises et américaines, peut nous conduire à définir la démocratie comme la prise du pouvoir politique par le peuple et par la force. Remarquons cependant que la plupart du temps, les changements de régimes politiques se font généralement par la force car il est très rare que ceux qui sont au pouvoir à un moment donné cèdent volontairement leur place. Donc cette prise de pouvoir par la force n’est pas une caractéristique propre aux démocraties. Ce qui est propre à une démocratie, c’est la prise de pouvoir par le peuple, ou la domination politique du peuple.
La démocratie directe selon Max Weber
Bernard Manin dans son livre « Principes du gouvernement représentatif », Édition Champs Essais, au chapitre V intitulé « Le Jugement Public », précisément p. 213, nous donne un résumé des 4 principes du régime démocratique mis en évidence par Max Weber :
- La révocabilité permanente des élus : les élus peuvent être démis de leur fonction sous la demande de citoyens approuvée par l’assemblée. Cette demande peut être réalisée à n’importe quel moment du mandat de ces élus. Il suffit que l’assemblée populaire soit majoritairement d’accord.
- La rotation des charges : les élus ne peuvent ni cumuler des charges, ni conserver la même charge plusieurs fois. En revanche, ils peuvent changer de charge si le processus de nomination le permet.
- La sélection des élus par tirage au sort : les élus ne sont donc pas élus mais tirés au sort, d’où le problème de les appeler des élus ! Précisons que dans la démocratie athénienne de la Grèce antique, il fallait d’abord se porter candidat pour pouvoir être tiré au sort. Tout citoyen pouvait se porter candidat s’il se jugeait digne d’exercer la charge concernée.
- Les mandats impératifs : les élus étaient désignés pour assurer une charge avec des tâches précises ou des orientations précises fixées à l’avance par l’assemblée. À la fin de l’exercice de cette charge, ils devaient rendre des comptes sur la qualité de leur mission. Si le mandat populaire n’avait pas été respecté, l’élu risquait une amende ou d’autres sanctions. Si le mandat populaire avait été bien rempli, il pouvait à nouveau se porter candidat pour une autre charge. Aujourd’hui on distingue le mandat impératif du mandat représentatif, le premier donne des consignes, le second laisse le représentant décider. La notion de démocratie suppose normalement l’existence de mandats impératifs.
Le défaut de cette présentation faite par Max Weber, c’est qu’aucune démocratie directe ayant réellement existé ne correspond complètement à ce schéma. En effet, pour la démocratie athénienne qui est la plus proche de ce schéma, en fonction des charges, les élus étaient soit réellement élus à main levée soit désignés par un tirage au sort. Cependant, il faut reconnaître que dans la tradition philosophique allant de la Grèce antique jusqu’au XVIIIème siècle, le tirage au sort est considéré comme l’une des caractéristiques principales de la démocratie. Bernard Manin met particulièrement bien en évidence cette particularité démocratique du tirage au sort dans les deux premiers chapitres de son livre.
Opposition entre démocratie et république
Jusqu’au XVIIIème siècle, la plupart des penseurs politiques considéraient que ce qui caractérisait un régime politique démocratique, c’était l’utilisation du tirage au sort. Ils considéraient par ailleurs que l’élection représentait plutôt une démarche aristocratique et relevait donc plus des régimes républicains. Bernard Manin note qu’il est donc surprenant que nous appelions aujourd’hui nos régimes représentatifs démocratiques puisque cela ne correspond pas du tout à la vision que l’on avait traditionnellement de la démocratie. Il faut donc retenir que le sens du mot démocratie a beaucoup évolué. Aujourd’hui nous désignons par le mot démocratie, le fait que tous les citoyens peuvent voter, l’idée même de la désignation des élus par le tirage au sort aurait même tendance à être considérée comme fort étrange. Nous associons donc naturellement aujourd’hui le mot démocratie à la notion de suffrage universel, comme si le fait que tous les citoyens pouvaient voter suffisait pour que le régime en question respecte la volonté du peuple.
Il serait préférable cependant de continuer à distinguer les régimes républicains et les régimes démocratiques. Nous pourrions en effet réserver le terme de démocratie pour les régimes qui utilisent le tirage au sort pour choisir leurs gouvernants, et le terme de république aux régimes qui utilisent les élections. Remarquons que le titre officielle de notre régime gouvernemental actuel est bien République Française avec les initiales RF sur les Armoiries de la France. Cependant nous trouvons aussi dans les documents officiels de notre constitution la notion de république démocratique. En effet, l’article premier de notre actuelle constitution stipule : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Il faut donc entendre ici par l’adjectif démocratique non pas ce que Max Weber entendait par démocratie directe, mais le fait que tout citoyen en âge de voter possède le droit de vote en France. Le sens du mot démocratique est donc très différent de ce que la tradition philosophique désignait par ce mot jusqu’au XVIIIème siècle. Cependant, il est bon de constater que la constitution choisit d’abord le terme de République. C’est un peu comme si elle reconnaissait tacitement le caractère aristocratique du régime. Nous aurons l’occasion de revenir dans un autre article sur le caractère aristocratique des régimes représentatifs. Disons déjà que beaucoup de personnes ignorent le sens du mot aristocratique et le confonde avec la notion d’aristocratie héréditaire, il nous faudra donc préciser ce que veut dire aristocratique.
Les régimes représentatifs selon Bernard Manin
Dans son livre, « Principes du gouvernement représentatif », Édition Champs Essais, Introduction, pp. 17-18, Bernard Manin met en évidence 4 principes des gouvernements représentatifs :
- Les gouvernants sont désignés par élection à intervalles réguliers. Plus l’intervalle est long, plus les gouvernants sont indépendants du Peuple, plus l’intervalle est court, moins les gouvernants se projettent dans l’avenir.
- Les gouvernants conservent, dans leurs décisions, une certaine indépendance vis-à-vis de la volonté de leurs électeurs. Il n’y a ni mandat impératif, ni révocabilité des gouvernants. Nous pouvons juste concéder que la destitution du président est prévue dans la constitution (c’est son article 68) mais elle n’a jamais été réalisée pour l’instant. Il existe des arguments en faveur de l’indépendance des gouvernants par rapport aux électeurs, mais cela pose aussi d’autres problèmes. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
- Les gouvernés peuvent exprimer leurs opinions et leurs volontés politiques sans que celles-ci soient soumises au contrôle des gouvernants. C’est le principe de la liberté d’expression. Cela suppose que les organes de presse soient indépendants des gouvernants et de ceux qui financent leur campagne électorale soit de manière directe (dons) soit de manière indirecte (conseils, réseaux de relations, publicités, autorisation de découverts bancaires, etc. ).
- Les décisions politiques sont soumises à l’épreuve de la discussion. On retrouve le principe juridique des contradictoires. Cela suppose aussi que le parlement conserve son rôle dans le processus législatif, et que le gouvernement n’utilise que très rarement l’article 49.3 de la constitution.
Avec ces 4 principes, il apparaîtra assez aisé de bien distinguer les régimes représentatifs des régimes démocratiques. Pourtant comme nous l’avons vu plus haut, nous avons pris l’habitude d’utiliser l’adjectif démocratique pour notre régime politique qui relève beaucoup plus d’un point de vue fonctionnel d’une république représentative. Il faut donc bien retenir qu’aujourd’hui l’adjectif démocratique a perdu son sens initial et qu’il ne désigne plus que le simple fait que le peuple possède le droit de vote. La question de savoir si le peuple conserve le pouvoir ou la domination dans nos régimes représentatifs reste donc totalement ouverte. Si nous voulions utiliser des termes grecs pour désigner notre régime politique actuelle, nous serions obligés de forger un néologisme et nous parlerions de république démopsefisique. Le mot démopsefisique serait en effet forgé du grec démos que nous avons vu et qui signifie peuple et du verbe psefizein qui signifie voter. Ce qu’il faut retenir c’est que voter, ne veut pas dire gouverner. La question de savoir si dans un régime représentatif, le peuple possède encore une forme de pouvoir ou de domination, reste donc totalement ouverte. Nous aurons l’occasion d’en reparler à l’avenir.
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