Grâce à l’un de mes élèves qui m’a surpris par sa réaction face à la distinction que je donnais en cours entre le philosophe et le sophiste, il m’a semblé important d’écrire cet article. Par sa culture, acquise, soit par sa famille, soit par le système éducatif, soit par l’influence du monde dont celle de séries vidéo, cet élève a réagi quand je mettais en place la distinction entre sophiste et philosophe, me reprochant de critiquer les sophistes. En essayant de respecter au mieux sa réaction, il m’a questionné ainsi : « Vous êtes bien content d’être dans un État de droit et je ne comprends donc pas pourquoi vous critiquez les avocats qui sont des sophistes alors même qu’ils assurent l’État de Droit ». Je lui ai répondu que les avocats n’étaient heureusement pas des sophistes et que leur rôle n’était pas de rechercher la richesse personnelle mais au contraire de défendre la justice, l’État de droit reposant en effet sur le souci qu’ont nos institutions de respecter la justice.
Trois confusions
Il me semble que plusieurs confusions existaient dans la question telle qu’il me la formulait :
1. La première, c’est qu’un avocat n’est normalement pas un sophiste, même si cela peut cependant arriver ;
2. La deuxième, c’est qu’on peut être un bon orateur sans être un sophiste ;
3. La troisième, c’est de confondre État de droit, et ambiance créée par le comportement des sophistes.
L’avocat n’est pas un sophiste
Justice Naturelle et justice positive
Pour donner raison en partie à cet élève, il est vrai que certains avocats peuvent rechercher la richesse avant de rechercher la justice. Le rôle de l’avocat étant de protéger les droits de son client en tenant compte de la justice de son pays, il est tentant, si ce client est riche ou puissant, de vouloir l’avantager même si cela est contraire à la justice. Mais de quelle notion de justice parle-t-on ? C’est là que la distinction entre justice naturelle et justice positive est si importante pour réussir à discerner ce qui est réellement juste et ce qui est en jeu dans ce type de question. On appelle justice naturelle ce qui est conforme à la nature de la chose considérée, donc ici la nature de la personne humaine. On appelle justice positive, l’ensemble des lois qui s’appliquent à un pays à une époque donnée en fonction de son système de gouvernement.
Exemple de la Rafle du Vélodrome d’Hiver
Une décision de justice, au sens positif du terme, peut malheureusement être injuste au sens naturel du terme. Par exemple, en juillet 1942 le gouvernement de Vichy lors de la Rafle du Vélodrome d’Hiver, a procédé à l’arrestation de plus de 13000 juifs parisiens âgés de 2 à 60 ans. La plupart seront déportés au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, quelques dizaines seulement en reviendront vivants. À l’époque la rafle était juridiquement valide mais pourtant complètement injuste d’un point de vue morale mais aussi d’un point de vue juridique quand l’État considéré est un véritable État de Droit.
Imaginons qu’un avocat ait accepté de défendre René Bousquet, l’un des responsables politiques ayant pris la décision de cette rafle, procès qui devait avoir lieu dans les années 90, et qui malheureusement n’a pas pu être terminé puisque ce haut responsable a été assassiné le 8 juin 1993. Cet avocat aurait pu en effet utiliser la loi positive de la France en 1942, disant qu’il avait seulement obéi aux ordres de l’occupant. Cependant, l’avocat adverse aurait pu lui opposer l’incompatibilité de son action avec la hiérarchie des normes définissant la notion d’État de droit dans la République Française. En effet, cette action est évidemment incompatible avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui est toujours l’un des textes juridiques principaux du système judiciaire français.
La notion d’État de droit
Il est vrai que le rôle de l’avocat est de défendre son client, mais cette défense ne doit-elle pas rester respectueuse de l’État de Droit ? Comme le dit le site officiel que je vous ai mis en lien au sujet de la notion d’État de droit, l’État de droit n’existe en France que s’il respecte la hiérarchie des normes. Or la Constitution Française ainsi que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, sont au sommet de cette pyramide hiérarchique. Chercher à réduire une peine en raison des circonstances historiques de l’acte posé est tout à fait compatible avec cette hiérarchie des normes. En revanche, nier l’injustice de ce même acte, n’est plus compatible avec cette hiérarchie.
Croyez-vous vraiment que la République Française actuelle peut se passer des doctrines du droit naturel ? Réduire le droit de notre République a un pur droit positif, n’est-ce pas du même coup trahir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, couper la tête de la hiérarchie des normes, et sombrer dans l’arbitraire des puissants ? Montesquieu, dont il est difficile de lui faire le reproche d’être trop catholique et donc trop influencé par son respect de Dieu, ne défend-il pas lui-même le droit naturel reposant sur la raison humaine ? N’y a-t-il pas confusion quand des juristes rejettent la doctrine du droit naturel sous le prétexte qu’elle serait forcément liée à des croyances religieuses ?
Définition de la justice
Il faut donc distinguer l’avocat du sophiste. L’avocat sert la justice de son pays, pas seulement la justice légale mais la justice naturelle. Autrement, il ne serait que le serviteur des dictateurs, ou le serviteur des puissants. Je rappelle que la notion de justice est clairement définissable : c’est rendre à chacun selon son dû. Cette notion de dû désigne ce qui est requis par sa nature humaine, c’est-à-dire ce qui relève de la catégorie des besoins, autrement dit, des nécessités vitales. D’où l’utilisation de l’adjectif naturel pour caractériser le droit qui se réfère à cette nature humaine.
Le bon orateur n’est pas forcément un sophiste
L’avocat peut en effet être un orateur, et c’est certainement une meilleure chose d’être un bon orateur pour être un bon avocat. Cependant, un orateur n’est pas forcément un sophiste, même si un sophiste est toujours un bon orateur. Il existe des orateurs qui sont justes, ce que le sophiste ne sera que si cela sert ses propres intérêts. La rhétorique est un outil qui n’a rien de mauvais en soi, comme tout outil, il peut servir pour faire le bien, comme il peut servir pour faire le mal. Il ne faut pas donc pas confondre l’outil et l’usage de l’outil. Le Sophiste fait un mauvais usage de cet outil car ce qu’il vise c’est son propre intérêt, un avocat en revanche peut tout à fait en faire un bon usage, et heureusement ! Un avocat peut très bien servir la justice et cependant gagner honnêtement sa vie !
État de droit et République
Quant à l’État de droit, celui-ci devient une mascarade quand les avocats et les autres membres du système judiciaire, ne respectent pas la hiérarchie des normes, et préfèrent des avantages financiers plutôt que le souci de justice. Et comme nous l’avons déjà dit, tout en haut de la pyramide des normes de notre pays, même dans notre République Française qui aime se dire laïque, la notion de nature humaine réside indubitablement. En rejetant la notion de nature humaine, la République Française, rejetterait du même coup la notion même de République. Car qu’est-ce qu’une République sinon le type de gouvernement qui protège et préserve la nature humaine de chacun de ses citoyens ? Le mot Res Publica en latin , c’est-à-dire la chose publique, désignait aussi ce que l’on appelle en philosophie le Bien Commun. Or le Bien Commun, c’est le bien de tous sans oublier le bien de chacun. C’est ce qui distingue d’ailleurs le Bien Commun de l’Intérêt Général, ce dernier étant malheureusement trop souvent utilisé pour justifier le sacrifice d’une minorité au profit d’une majorité relative, quand ce n’est pas pour justifier le sacrifice de la majorité constituée des petites gens au profit d’une oligarchie qui aime utiliser des étiquettes langagières qui donnent une apparence de légitimité.
Peut-être que dans un système oligarchique où les citoyens ne seraient pas égaux en droit entre eux, nous pourrions nous passer du droit naturel. Mais même l’aristocratie de notre Ancien Régime, n’avait pas osée soutenir ouvertement ce rejet, même si en pratique l’hypocrisie du système faisait qu’elle le rejetait parfois et sans doute trop souvent.
Pour vous permettre de visualiser l’opposition qui peut exister aujourd’hui entre un avocat qui respecte le droit naturel et un avocat qui vise essentiellement la victoire, la reconnaissance, les honneurs ou la richesse, je vous recommande cette série Sud-Coréenne qui s’appelle Extraordinary Attorney Woo. C’est l’histoire fictive de la première avocate autiste Asperger de Corée du Sud. Cette avocate est parfois tiraillée entre le souci de gagner le procès et le souci de respecter tout ce qu’exige la notion de justice. C’est particulièrement visible lors du deuxième épisode de cette série qui existe pour l’instant en une seule saison de 16 épisodes. Je termine donc en vous mettant la bande annonce de cette série. N’hésitez pas à la regarder si vous êtes intéressés par le métier d’avocat et aussi par l’accueil et le respect de la différence.