Sommaire
- Introduction
- Importance de la prudence domestique
- Parties intégrantes et parties potentielles
- Définition de la prudence, les 3 actes importants
- Les 8 parties intégrantes de la prudence
- Les 3 parties potentielles de la prudence
- Les vices qui s’opposent à la prudence
- Dilectio prudentiae
1. Introduction
Corruptio optimi pessima ! Cet adage scolastique signifie : « la corruption du meilleur est la pire ! » On trouve aussi l’expression corruptio optimorum perssima, « la corruption des meilleurs est la pire ». Il existe un proverbe chinois équivalent : Le poisson pourrit toujours par la tête !
Si avec Bernard Mandeville ou John M. Keynes, nous continuons à soutenir que les vices sont plus utiles que les vertus pour la prospérité d’une nation, alors il ne faut pas être surpris que nos élites deviennent de plus en plus corrompues donc vicieuses. Le problème ne concerne cependant pas que la tête du poisson, mais l’ensemble du corps du poisson : donc nous-même, qui ne faisons pas forcément partie de l’élite.
Le simple bon sens suffit à nous indiquer que rien de bon ne peut sortir des vices. Il est étrange que le mensonge qui consiste à affirmer que les vices sont plus utiles que les vertus ait eu autant de reconnaissance universitaire, politique et sociale ! Quel aveuglement !
Il est donc urgent de revenir à l’exercice des vertus si nous ne voulons pas voir la ruine de nos civilisations.
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Vous êtes les responsables de demain, que ce soit au niveau social ou politique, quel que soit le niveau que vous atteindrez, mais aussi au niveau familial. Imaginez-vous vraiment que vous réussirez à vous épanouir dans votre vie de famille si vous y faites entrer l’encouragement aux vices ? Pensez-vous vraiment qu’il est crédible que des parents incitent leurs enfants à développer les vices pour l’utilité de la vie de famille ? Or l’économie n’est-elle pas dans son origine étymologique la bonne conduite, nomos, de la maison, oikos ? Ce qui est valable pour la vie de famille ne devrait-il pas être valable pour toute organisation économique ?
Face à l’évolution du monde et aux multiples crises économiques qui se succèdent, il est facile de baisser les bras, de croire que nous ne pouvons rien faire pour améliorer les choses. C’est oublier un peu trop vite, que l’économie d’un pays ne dépend pas seulement du bon vouloir des puissants ou des dirigeants. Chaque citoyen est en effet un acteur économique qui aura un impact, réel bien que parfois minime, sur l’économie du pays. C’est pourquoi notre engagement sur le petit chemin des vertus est important, il n’a pas seulement un faible impact sur l’économie mais il peut aussi par contagion mimétique entraîner une réaction en chaîne à partir de la base, source de profonds changements.
2. Importance de la prudence domestique
Ce sont les vertus qui permettent de résister aux vices, nous l’avons vu dans le cours sur le bonheur. Thomas d’Aquin dans son livre De Regimine Principum analyse quelle est la meilleure forme de gouvernement pour favoriser le Bien Commun d’un pays. Ce livre a évidemment de quoi surprendre pour un lecteur contemporain car il se prononce en faveur de la monarchie. Cependant, ses développements permettent de mettre en évidence ce que doit viser un bon dirigeant. Ainsi, bien que ce livre relève principalement du domaine de la philosophie politique, il met en évidence que le devoir essentiel du dirigeant, est d’exercer la prudence politique. Vous ne serez certes que très peu à avoir une responsabilité politique future. En revanche, vous serez plus nombreux sans doute à avoir un rôle de dirigeant économique, ne serait-ce déjà qu’en tant que parent, puisque la famille représente la première entité économique. Vous serez donc concernés par ce que Thomas d’Aquin appelle : la prudence domestique.
Thomas d’Aquin distingue la prudence domestique de la prudence politique quant à leur objet, mais non quant à leurs particularités. Il me semble donc important ici de développer plus précisément la vertu de prudence. En effet, il n’y aura pas d’avancée sur le chemin des vertus dans notre pays si d’abord nous ne suivons pas ce chemin dans nos familles. C’est dire à quel point la prudence domestique est une vertu importante pour notre avenir. Dans le développement qui suit nous utiliserons essentiellement la Somme Théologique de Thomas d’Aquin, et précisément les parties IIa-IIae q47 à q56, pour présenter de manière plus détaillée ce qu’est la prudence pour lui.
Avant, il faut rappeler que le but de la prudence domestique est le bien-vivre total à l’intérieur de la société familiale, comme le but de la prudence politique est le bien-vivre total de la société, c’est-à-dire le Bien Commun. Retenez que pour Thomas d’Aquin, le Bien-Commun est toujours un bien-vivre, un Bene Vivere. Or plutôt que de vivre seulement, n’est-il pas préférable de Bien Vivre ? C’est ce que disait Sénèque le Stoïcien : « Non vivere bonum est, sed bene vivere ! »
Dans ce monde où règne souvent la confusion des valeurs, il est urgent de revenir à la promotion des vertus et particulièrement celle de prudence. Il faut donc développer en nous et autour de nous la dilectio prudentiae : l’amour de la prudence. Pour ce faire, il nous faut apprendre à mieux la connaître. C’est ce que nous allons faire maintenant avec l’aide de Thomas d’Aquin. Ces conseils ont le mérite d’être très concrets : ils nous permettent d’agir dès maintenant dans nos vies de tous les jours, sans attendre d’avoir de plus grandes responsabilités.
3. Parties intégrantes et parties potentielles
Thomas d’Aquin appelle partie intégrante d’une vertu, ce qui rentre dans la constitution de cette vertu. Il appelle partie potentielle d’une vertu, les vertus annexes ou secondaires qui lui permettent de pleinement s’exprimer. Pour comprendre cette distinction, prenons la métaphore de la maison :
- Les fondations, les murs et le toit, sont des parties intégrantes de la maison ;
- Les arrivées et les évacuations d’eau, le raccordement électrique au réseau EDF, sont des parties potentielles de la maison.
4. Définition de la prudence, les 3 actes importants
La prudence se définit comme étant la droite règle des actions à faire, c’est agir avec le désir de faire le bien et ce de manière intelligente. Pour que l’action soit réellement prudente, il faut qu’elle suive 3 étapes successives, 3 actes :
- Le conseil qui commence la délibération,
- Le jugement pratique qui la termine,
- L’imperium ou le commandement, qui préside à l’exécution de la chose décidée.
Ici, on voit bien combien il est important de suivre ces 3 actes quand il s’agit de prendre des décisions familiales qui auront des conséquences économiques. Il faut non seulement prendre conseil et prendre le temps de juger en fonction des circonstances ce qui sera le plus avisé, mais plus encore, il faut avoir le courage de mettre en pratique ce jugement.
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5. Les 8 parties intégrantes de la prudence
Thomas essaie de rassembler ce qu’il a trouvé chez Aristote, Cicéron et Macrobe. Il distingue donc 8 parties intégrantes de la prudence, 5 qui concernent plutôt ce qui relève de la connaissance (la délibération), 3 qui concernent ce qui relève du commandement :
- La mémoire, c’est la connaissance du passé, elle est donc très utile comme conseil pour la délibération ;
- L’intelligence nous donne une connaissance du présent en tant qu’il relève du nécessaire (les lois physico-chimiques, etc.) et des circonstances ;
- La docilité, car la connaissance s’acquiert aussi par l’enseignement, il faut donc lui être attentif ;
- L’eutochia, le bonheur de la découverte, dont fait partie la sagacité qui consiste à découvrir rapidement les liens de cause à effet entre les choses en mettant en évidence les intermédiaires. Il cite Aristote pour qui « la sagacité est une disposition par laquelle tout d’un coup l’on découvre ce qui convient ». C’est pourquoi, on peut dire, dans un vocabulaire contemporain, qu’elle relève de l’intuition ;
- La raison qui permet de déduire des hypothèses nouvelles des connaissances passées et des circonstances actuelles en faisant des déductions. Il s’agit du raisonnement logique et démonstratif ;
- La prévoyance permet d’adapter l’action au but recherché qui doit faire partie du bien commun. C’est le fait d’envisager les conséquences directes mais aussi à moyen et long terme, autant que possible ;
- La circonspection qui consiste à bien tenir compte de toutes les circonstances actuelles ;
- L’attention précautionneuse qui nous portent à éviter les obstacles qui empêcheraient la réalisation de l’action.
6. Les 3 parties potentielles de la prudence
La prudence est affermie par 3 vertus secondaires que sont :
- L’eubolia, l’aptitude à bien délibérer ;
- La synésis , le jugement droit, le bon sens, non en matière de spéculation mais en matière d’actions particulières. En grec, on désignera par synétoi, les sensés, par eusynétoi, les hommes de bon sens. Au contraire, on désignera par asynétoi, les insensés ;
- La gnômè, c’est la perspicacité du jugement face à des événements rares qui demande de s’écarter des règles communes de l’action. La synésis concerne plutôt l’homme en général, la gnômè celui qui fait preuve de plus de perspicacité que les autres hommes. Elle concerne les hommes qui ont un talent particulier pour le commandement.
7. Les vices qui s’opposent à la prudence
Parfois, dans la vie courrante, et particulièrement concernant les différentes dépenses que nous avons à faire pour la conduite de nos économies personnelles, il est utile de bien connaître les vices qui s’opposent à la prudence. Les connaître permet en effet de mieux apercevoir ce que devrait être l’action prudente dans telle ou telle circonstance. Thomas d’Aquin distingue 4 vices de la prudence :
- L’imprudence qui se décompose en deux espèces :
- L’imprudence qui nous prive de la prudence, nous manquons de prudence à cause d’une grande colère ou d’un désir trop fort, par exemples ;
- L’imprudence où nous nous opposons à la prudence. Elle est plus grave car là nous savons que nous prenons la mauvaise direction, nous choisissons délibérément de ne pas suivre les conseils de la prudence ;
- La précipitation ou la témérité, c’est le vice de celui qui ne délibère pas assez ou ne prend pas assez le temps du conseil, c’est manquer de conseil. Elle relève de la présomption donc de l’orgueil. C’est pourquoi Aristote conseillait : « il faut délibérer lentement ». Dans certaines circonstances, il nous faut bien prendre rapidement des décisions, mais cela ne se fait pas sans préparation et sagacité ;
- L’inapplication, c’est celui qui ne s’applique pas assez dans son jugement, il peut tenir compte des conseils reçus mais il n’arrive pas à trancher précisément ce qui est le plus approprié aux circonstances présentes. C’est manquer de jugement ;
- L’inconstance, désigne le fait de ne pas persévérer dans ce que le conseil et le jugement avaient proposé. C’est le fait de céder, après conseil, délibération et jugement, aux passions, à l’envie, à la colère. C’est manquer d’imperium, de commandement sur sa propre personne.
Ces vices viennent souvent d’un trop grand attachement aux plaisirs et particulièrement aux plaisirs charnels. Voilà ce que dit précisément Thomas d’Aquin en IIa-IIae q53 a6 :
“L’envie et la colère causent l’inconstance en détournant la raison vers un autre objet, mais la luxure cause l’inconstance en éteignant totalement le jugement de la raison. Aussi le philosophe dit-il : « Celui qui ne peut contenir sa colère entend sa raison, quoique non parfaitement, mais celui qui ne peut contenir sa convoitise ne l’entend pas du tout. »”
Dilectio prudentiae
Développons la dilectio prudentiae !
- Notre rôle dans la vie de tous les jours est à la base de la société ;
- Si chacun d’entre nous montre l’exemple des vertus, par contagion mimétique, la société évoluera ;
- Développons donc l’amour de la prudence : la dilectio prudentiae.
- Le meilleur moyen, c’est de la mettre en pratique dès aujourd’hui dans nos vies.
Bon courage à tous !