À force de nous laisser séduire par les « experts » et autres futurologues, nous finissons par oublier que l’avenir n’est pas écrit et que nous avons tous le pouvoir d’agir de manière surprenante pour initier de nouveaux commencements. Si Rosa Parks n’avait pas refuser de céder sa place de bus à un passager blanc le 1er décembre 1955, et si un jeune pasteur noir américain de 26 ans, Martin Luther King, avec son ami Ralph Abernathy âgé de 29 ans, n’avaient pas initier le boycott de la compagnie de bus de Montgomery en Alabama pour la soutenir, la Cour Suprême des États Unis n’aurait sans doute pas casser les lois ségrégationnistes dans les bus le 13 novembre 1956.
À l’heure où de nombreuses injustices se multiplient autour de nous, il est bon de nous souvenir de ce que nous rappelle Hannah Arendt : être un homme ou une femme, c’est pouvoir initier de nouveaux commencements et ainsi déjouer les prévisions pessimistes qui nous accablent. Certes, seuls nous ne sommes pas grand chose, mais nous pouvons nous unir pour une cause juste. Ils furent d’abord 3 en Alabama, puis des milliers les rejoignirent.
Découvrons ensemble ce que nous dit Hannah Arendt en 1971 :
« Les événements représentent, par définition, des concours de circonstances qui interrompent le déroulement des procédures et des processus habituels ; les constructions imaginatives des futurologues ne sauraient se vérifier que dans un monde où rien d’important ne se produit. Les prévisions de l’avenir ne sont jamais que les projections des automatismes et des processus du présent, autrement dit de ce qui se produira probablement si les hommes s’abstiennent d’agir et si n’intervient aucun événement imprévu ; toute action, bonne ou mauvaise, et tout accident détruisent nécessairement le cadre même des structures prévisionnelles et la réalité à laquelle elles se référaient. (La remarque incidente de Proudhon, selon laquelle « la fécondité de l’imprévu excède de beaucoup la prudence de l’homme d’État », demeure heureusement toujours vraie. Et cette fécondité dépasse d’une façon plus évidente encore tous les calculs de l’expert.) L’artifice le plus ancien qui soit utilisé ici consiste à qualifier de « faits dus au hasard », ou encore d’« ultimes soubresauts du passé », ces événements inattendus, imprévus et imprévisibles, afin de pouvoir les considérer comme non pertinents ou de les rejeter dans la fameuse « poubelle de l’histoire » ; ce genre d’artifice aide encore à préserver la cohérence théorique, mais en l’éloignant de plus en plus des réalités. Le danger est que non seulement ces théories sont crédibles, du fait qu’elles se fondent sur les tendances perceptibles de la conjoncture présente, mais que d’autre part elles possèdent, du fait de leur cohérence interne, une sorte de pouvoir hypnotique qui leur permet d’engourdir les facultés du sens commun, qui n’est autre chose que l’organe mental qui nous permet de percevoir, de comprendre et de réagir devant la réalité et les faits. »