Préambule
Vous trouverez ici un article que j’ai réalisé pour une intervention auprès d’un public chrétien. Cet article relève donc explicitement de la philosophie chrétienne. Certains d’entre vous pourraient être surpris par certaines notions. Je vous laisse les découvrir et si vous le désirez, manifester vos surprises ou vos protestations via mail.
Lors de cette intervention, j’ai utilisé un diaporama, pour ceux qui voudraient le revoir ou le découvrir, le voici : L’examen de conscience
Bonne lecture !
Plan de l’article :
- Introduction
- L’examen de conscience
- L’oraison du matin
- Devenir un bon pianiste
- Les vertus à développer pour mieux gérer son temps
- Les entraves qui nous empêchent de réaliser un bon examen de conscience
- L’examen de conscience comme protection vis à vis des Principautés
- Le directeur spirituel
Introduction
On m’a demandé de vous parler de notre rapport au temps et de notre gestion du temps à l’heure de l’accélération technologique. Remarquons d’abord que notre temps nous est donné de manière finie. Nous avons peu de prise sur l’écoulement du temps, et nous avons peu de prise sur la durée qu’il nous reste à vivre, même si évidemment la manière dont nous organisons notre vie et la manière dont nous agissons ont un impact certain sur cette durée. Pour le dire autrement, autant nous ne décidons pas du terme de notre vie, autant nous pouvons la raccourcir par nos actes. Nous pouvons aussi plus ou moins bien réussir à organiser nos activités dans nos journées.
À l’heure où le transhumanisme peut venir tenter un certain nombre d’entre nous en nous faisons croire que nous pourrions devenir immortels à brève échéance, comme le dit le docteur Laurent Alexandre, j’aimerais plutôt contribuer à vous aider à vous recentrer sur votre temps présent. Il ne s’agit évidemment pas de rejeter l’importance de l’inscription dans la durée, mais plutôt de réussir à vous aider à comprendre que nous ne nous inscrivons adéquatement dans la durée source du Bien Commun qu’en nous tournant de manière particulière vers notre journée présente.
En vous disant cela, je pense tout particulièrement à une citation extraite du Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien. Tolkien était professeur de langues celtes à l’université d’Oxford, et c’était aussi un fervent catholique tout à fait conscient de l’importance de la transmission des valeurs chrétiennes pour les futures générations. Il met dans la bouche de l’un de ses personnages, Gandalf, un Istari (les Istari sont des mages qui détiennent et mettent en œuvre le suprême savoir touchant l’histoire et la nature du monde), des paroles de conseils adressées à son héros Frodon :
« Comme ceux qui vivent des heures si sombres, mais ça n’est pas à eux de décider. Tout ce que nous pouvons décider c’est que faire du temps qui nous est imparti. Il y a d’autres forces en œuvre dans ce monde à part la volonté du Mal. »
Comme Frodon, nous pouvons en effet, en raison des mauvaises nouvelles de ce monde, ou des mauvaises nouvelles qui nous touchent plus directement, nous sentir impuissants pour y faire face. Nous pouvons aussi, en raison de la multiplication des activités dans notre vie de tous les jours, cette sorte de frénésie des choses à faire, nous sentir perdu dans notre gestion du temps.
C’est pourquoi je vais rapidement vous présenter deux petits exercices quotidiens que vous pourrez immédiatement mettre en pratique en revenant chez vous. En vous présentant cela, nous allons faire de la véritable philosophie, et particulièrement de la philosophie chrétienne, puisque la philosophie, c’est d’abord servir notre vie concrète, et non théoriser sur ce qu’il faudrait penser, même si la théorie bien pensée est toujours au service de la vie.
Je vous propose de revenir à la sagesse de 2 grands penseurs qui ont marqué la France, l’un parce qu’il a enseigné pendant de nombreuses années à la Sorbonne et a fortement contribué à sa renommée internationale, l’autre parce qu’il a marqué définitivement la spiritualité de notre pays, même si nous avons trop tendance à l’oublier.
Pour le premier je pense à Saint Thomas d’Aquin, et pour le second qui va particulièrement m’aider pour vous parler ce soir, je pense à Saint François de Sales. Le premier a été déclaré par l’Église Catholique, » Docteur Angélique » et le second » Docteur de l’amour divin et de la douceur évangélique « .
Ce dernier, dans son livre, Introduction à la vie dévote, parmi de nombreux conseils qu’il nous donne, nous recommande de pratiquer chaque soir notre examen de conscience, et chaque matin ce qu’il appelle l’oraison pour le matin. J’utiliserai ce que nous dit Saint Thomas d’Aquin afin de mieux éclairer ce que nous recommande Saint François de Sales.
Chaque soir Saint François de Sales nous recommande de faire notre examen de conscience avant de nous endormir. Malheureusement, il est fort possible que cette expression évoque pour vous plutôt quelque chose de négatif, comme si cela consistait essentiellement à se faire d’abord des reproches. De même, il est possible aussi que l’expression » Vie Dévote » vous fasse plutôt peur. Molière a tant dénoncé la fausse dévotion avec sa pièce Le Tartuffe que nous risquons de rejeter la vraie dévotion aussi en la confondant avec la fausse.
Je vais donc rapidement vous rassurer en affirmant que ces impressions négatives que nous pouvons avoir sur ces sujets sont plutôt le signe d’une rupture de transmission ou d’une incompréhension totale.
Saint François de Sales appelle vie dévote, notre vie quand elle se laisse embrasser par la tendresse de Dieu, notre créateur et Notre Père Adoptif. Et nous allons voir maintenant que l’examen de conscience, n’a rien à voir avec une sorte d’auto-inquisition ou d’auto-flagellation, c’est bien au contraire prendre le temps chaque soir d’être bienveillant avec soi-même avec douceur et mansuétude, en prenant l’habitude de nous laisser porter par la tendresse et la sagesse de notre Père Céleste.
L’examen de conscience
Entrons dans le vif du sujet, et voyons les étapes que nous propose Saint François de Sales pour réaliser notre examen de conscience chaque soir. Je reste extrêmement proche du sens du texte, même si je le modifie pour le rendre plus compréhensible.
- Nous commençons par remercier Dieu de nous avoir permis de vivre une journée supplémentaire.
- Nous examinons ensuite comment nous nous sommes comportés à chaque heure de cette journée. Pour réussir à bien faire cet examen, nous nous remémorons :
- Les lieux où nous avons été,
- Les personnes que nous avons rencontrées,
- Les activités que nous avons faites.
- Dans cet examen de notre comportement, nous regardons d’abord le bien que nous avons fait. Nous remercions alors Dieu, de nous avoir créé pour faire ce bien, et de nous avoir aidé à le faire.
- Repérons les blessures que nous avons ressenties dans la journée, soit avec telle ou telle frustration, soit par l’action blessante de telle ou telle personne. Nous pouvons alors les confier à l’action du baume réconfortant de la Tendresse divine, afin qu’elles ne s’infectent pas pendant la nuit.
- Puis, nous regardons si nous avons eu de mauvaises pensées, si nous avons mal parlé, et si nous avons mal agi, dans cet ordre. Alors, nous nous en remettons à la tendresse de Notre Père Céleste et nous lui demandons pardon.
- Nous prenons alors la résolution de penser mieux, de parler mieux et d’agir mieux le lendemain. Nous lui demandons aussi de nous fortifier pour que nous réussissions à tenir cette résolution.
- Nous confions notre corps, notre âme, l’Église, les membre de notre famille, les amis, à la Providence divine.
- Nous prions Notre-Dame, notre Ange Gardien, et les Saints de veiller sur nous et de prier pour nous.
- Enfin avec la bénédiction de Dieu, nous prenons le repos qu’il a voulu pour nous en nous créant ainsi.
Saint François de Sales, ajoute alors :
« Cet exercice ici ne doit jamais être oublié, non plus que celui du matin ; car par celui du matin vous ouvrez les fenêtres de votre âme au Soleil de justice, et par celui du soir vous les fermez aux ténèbres de l’enfer. »
Ces expressions sont fortes, peut-être certains les trouverons trop fortes, tant la notion d’enfer n’a pas forcément la cote aujourd’hui ! Cependant, je crois que cette remarque est au contraire très intelligente. Ne pas faire son examen de conscience chaque soir, c’est prendre le risque de voir peu à peu augmenter en nous le Taedium Sui, le dégoût de soi, et le ressentiment à l’égard de soi. Or ces deux émotions sont destructrices à plus ou moins brève échéance. Car même si nous mettons de côtés notre conscience de nos mauvaises actions de la journée, elles ne cessent pas pour autant de nous travailler en sourdine.
C’est pourquoi, j’ai ajouté une étape à cet examen de conscience ainsi présenté. Je l’ai placé en 4 pour respecter la vertu de douceur à l’égard de soi. Cette étape ne se trouve pas dans le livre de Saint François de Sales.
L’oraison du matin
Voyons maintenant ce qu’il appelle l’oraison du matin :
- Remercions d’abord Dieu de nous avoir donné une nuit de plus.
- Si pendant cette nuit passée, nous avons commis quelque péché, alors demandons-lui pardon. J’imagine qu’il peut penser à ceux qui se relèvent la nuit pour se laisser aller au péché de gourmandise, comme fait Louis de Funès dans la Grande Vadrouille !
- Considérons ensuite le jour nouveau qui se présente comme la chance qui nous est donnée de progresser un peu plus sur le chemin du développement de nos vertus. Chaque jour est un don qui nous est fait pour que nous puissions coopérer avec Dieu pour le bien dont le monde a besoin. Chaque jour est un nouveau commencement, où nos erreurs passées sont autant de chances d’être plus vigilants.
- Représentons-nous par l’imagination quelles sont les activités qui nous attendent aujourd’hui, et quelles sont les personnes prévisibles que nous allons rencontrer. Imaginons quel bien nous pouvons faire dans chacune de ces situations.
- Représentons-nous quelles pourraient être les tentations qui pourraient survenir dans cette journée qui s’annonce, l’exaspération qui pourrait survenir face à telle personne, les tentations qui surgiraient du lieu même où nous nous trouverons.
- Préparons-nous mentalement à faire de notre mieux dans chaque situation.
- Disposons-nous à combattre et vaincre les tentations qui pourraient survenir.
- Pour ce combat, il faut prendre soin d’anticiper les moyens que nous devons prendre pour emporter la bataille. Par exemple, si nous devons rencontrer une personne colérique, préparons-nous à faire preuve de la plus grande douceur à son égard, et si nous ne nous en sentons pas capable, à la rencontrer avec l’aide d’une tierce personne.
- Puis, reconnaissons notre fragilité et notre petitesse face à tout ce qui nous attend dans la journée.
- Remettons cette fragilité et cette petitesse à la bienveillance de Jésus Abandonné sur la Croix, il comprend notre fragilité puisqu’il l’a lui-même vécue sur la Croix : il a expérimenté ce que cela fait de se sentir totalement impuissant. Il comprend donc toutes nos fragilités.
- Remettons cette fragilité et cette petitesse à la puissance de Jésus Ressuscité, qui par l’Abandon au Père et par la Grâce du Père a vécu la transformation des épines de la mort en belles roses de vie, et peut donc transformer nos épines en roses.
- Enfin invoquons Notre Dame, notre Ange Gardien et les Saints pour qu’ils nous assistent dans cette amitié avec Jésus et dans cet abandon au Père.
Devenir un bon pianiste
Un certain nombre d’entre vous pourraient trouver ces 2 exercices un peu long à réaliser chaque jour. Peut-être certains pourraient même se dire que c’est une perte de temps par rapport à l’ampleur des tâches qu’ils ont à réaliser ce jour-là. Certains préfèreraient peut-être mieux connaître des méthodes d’organisation du temps utilisées dans le monde de l’entreprise, telle la méthode GTD (Getting Things Done) de l’américain David Allen.
Cependant, plus j’avance en âge et en connaissance de la sagesse chrétienne, plus je trouve que c’est faire fausse route de croire cela. En effet les conseils de Saint François de Sales, sont plus intelligents que ce que peut nous offrir assez souvent notre monde moderne, car le monde moderne refuse souvent de considérer les recommandations qui nous viennent directement de Dieu, préférant les conseils de simples créatures imparfaites. Le savoir des créatures existe évidemment mais il n’est presque rien par rapport au savoir du Créateur.
Or, Saint Thomas d’Aquin, nous dit que nous avons en nous la boussole morale qui nous permet de voir ce que nous devons faire. Il appelle cette boussole, la Syndérèse. L’examen de conscience, ainsi que l’oraison du matin, proposés par Saint François de Sales, c’est justement prendre l’habitude de soumettre les activités de nos journées au discernement de cette boussole morale que nous avons tous. Cette étincelle de la conscience, est là à chaque instant à disposition. Mettre nos actions sous sa lumière, c’est justement apprendre à discerner ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas, ce qui est important de ce qui l’est moins.
Avant de vous présenter les trois vertus principales qu’il nous faut fortifier pour réussir à faire chaque jour ces 2 exercices. J’aimerais vous redire ce que Saint François de Sales, en reprenant les conseils de Jésus, nous recommande. Les techniques de gestion du temps du monde moderne ne fonctionnent pas car nous mettons les choses dans le mauvais ordre. Saint François de Sales nous recommande de changer nos cœurs avant de chercher à acquérir des techniques. Les techniques sont comme des outils extérieurs à notre propre être, c’est notre être même qu’il faut changer pour réussir à mieux utiliser les techniques.
Je vous propose la métaphore du pianiste. Organiser notre temps simplement avec une technique d’organisation du temps ce serait croire que nous deviendrions meilleur pianiste en changeant de piano. Bien qu’en effet un piano Steinway & Sons sonne mieux qu’un simple piano électronique Yamaha, c’est d’abord le savoir faire du pianiste qui fait la différence. Or ce savoir faire, n’a que très peu de rapport avec l’instrument en lui-même, c’est bien plutôt les exercices et surtout les conseils avisés d’un bon maître qui vont faire la différence.
Concernant la gestion du temps, il en va de même. Il nous faut d’abord faire les bons exercices et se confier au Bon Maître. Les exercices en question ce sont l’examen de conscience du soir et l’oraison du matin, et le Bon Maître, c’est Dieu Notre Père dans le lien qui nous relie à lui qui s’appelle la petite voix de la conscience. Alors, et alors seulement, si vous êtes attirés par une technique moderne de gestion du temps, elle peut devenir utile. J’avoue cependant, que j’en doute de plus en plus, car je remarque par la pratique, que notre créateur nous a doté d’un ordinateur beaucoup plus puissant que ce que la science moderne nous propose avec nos agendas électroniques portables. J’espère que vous me pardonnerez cette comparaison avec l’ordinateur puisque je pense à notre cerveau, mais aussi à notre intelligence et à notre raison, qui dépassent infiniment tout ordinateur.
Pour reprendre la métaphore du pianiste, et je suis évidemment très en-deçà de la réalité en disant cela, nous autres, hommes modernes, nous nous extasions devant nos claviers bontempi, alors que nous avons depuis toujours à disposition immédiate, un piano à queue de concert, qui en plus n’a nullement besoin d’électricité pour sonner mille fois mieux !
Les vertus à développer pour mieux gérer son temps
Pour réussir à réaliser ces 2 exercices quotidiens, Saint François de Sales nous recommande de prendre soin de développer trois vertus : la patience, l’humilité et la douceur. Évidemment, ces vertus seront plus faciles à développer si nous prenons résolument la décision de développer, avec l’aide de Dieu, les 7 autres vertus que représentent les quatre vertus cardinales, le courage, la tempérance, la justice, la prudence, et les trois vertus théologales, la Foi, l’Espérance et la Charité. Il n’est pas anodin cependant que Saint François de Sales nous conseille particulièrement ces 3 vertus, la patience qui relève du courage, l’humilité et la douceur qui relèvent de la tempérance.
La patience
La patience, nous en avons besoin dès maintenant car il faut du temps pour réussir à bien faire ces 2 exercices. Si vous commencez ce soir pour la première fois, il vous faudra être patient avec vous-même, ce n’est pas grave de ne pas réussir l’intégralité dès le premier soir. Il en va de même pour le pianiste débutant qui voudrait réussir à jouer les impromptus variés de Schubert. Il ne va pas réussir dès la première fois. Il lui faut accepter de commencer par des exercices plus courts et plus simples. L’important, c’est de commencer, et surtout l’important c’est d’être régulier dans l’exercice. Tout musicien sait qu’il vaut mieux 5 minutes tous les jours, qu’une heure par semaine. Il en va de même pour l’examen de conscience. Soyez patients avec vous-même, il nous faut du temps pour réussir à bien écouter notre syndérèse, je vous dirai pourquoi à la fin de cet article.
Ce qui importe, c’est que tous les soirs et tous les matins, vous vous mettiez dans les bras du Père, et même si vous n’arrivez pas à faire correctement toutes les étapes de chaque exercice, ou même que vous n’arriviez pas à faire toutes les étapes. Ce qui compte c’est déjà de faire l’effort de remettre chaque journée à Dieu. Dieu vous guidera et vous fortifiera pour la suite.
L’humilité
La vertu d’humilité est importante car c’est elle qui nous fait prendre conscience de notre fragilité, de notre faiblesse, de notre petitesse. Grâce à elle nous apprenons peu à peu à nous en remettre de plus en plus à Notre Père. La vertu d’humilité est évidemment très mal comprise par notre monde moderne. En effet, être moderne, on le voit bien à la lecture du livre d’Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les lumières ?, c’est croire que nous sommes assez grands pour nous débrouiller tous seuls dans la vie. Nous n’aurions plus besoin de l’aide de nos aînés (sauf bien évidemment nos modernes aînés, contradiction évidente que peu de personnes relèvent), et certainement pas de l’aide de l’Église, et encore moins de l’aide de Dieu.
Or, justement la vertu d’humilité, c’est cette force morale qui grandit avec la confiance en Dieu et qui nous fait prendre conscience qu’il sait mieux que nous ce qui est bon pour nous. Il sait mieux que nous tout simplement parce qu’il est notre créateur et que son intelligence voit tout ce qui est, alors que nous n’avons accès par notre propre intelligence qu’à une infime partie de ce qui existe.
Pour le dire autrement encore, il me semble qu’avec un tout petit peu d’expérience de vie, nous ne pouvons pas faire autrement que de prendre conscience qu’il nous est difficile de discerner ce qui relève de nos propres talents et ce qui relève de désirs désordonnés, ou de désirs attrapés chez les autres en raison du mimétisme de nos désirs, de ce qu’on appelle aujourd’hui, nos neurones miroirs. Autant les désirs qui relèvent pleinement de nos propres talents sont bons pour nous et les autres, autant nos désirs mimétiques risques fort de nous éloigner de nous-même. Se connaître soi-même n’est pas la devise de Socrate pour rien ! Il l’a choisie justement parce que c’était l’une des choses les plus difficiles à réaliser, et en même temps la chose la plus essentielle.
Par la vertu d’humilité nous apprenons à faire confiance à Dieu pour qu’il nous aide à discerner qui nous sommes réellement et ce qui compte vraiment pour nous. C’est un peu comme si grâce à elle nous nous vidions de toutes nos préoccupations mélangées, de tout ce tourbillon d’émotions, de désirs, de tentations, pour qu’Il puisse mettre ou fortifier en nous les désirs principaux qui nous correspondent. Il nous a fait merveille des merveilles, mais merveille totalement différente des merveilles que sont les autres. Merveille totalement unique et définitivement irremplaçable ! Et nous voudrions copier les autres, faire les mêmes choses qu’eux, avoir les mêmes choses, développer les mêmes talents ?
Qui pourrait dire avec certitude maintenant qu’il sait tout de ses propres talents et qu’il sait écarter définitivement toute tentation farfelue, inutile pour lui, voire dangereuse ? C’est pourquoi nous devons fortifier notre vertu d’humilité. Non pas nous humilier pour nous détruire, mais nous faire petit pour laisser Dieu nous faire pleinement devenir la pépite d’or que nous sommes déjà potentiellement. L’œil n’a pas à rêver de devenir oreille ou pied, il doit seulement se réjouir d’être œil et chercher à le devenir pleinement. C’est ainsi qu’il s’épanouira et fera du bien pour le corps entier.
Avec l’humilité accrue, il nous sera plus facile de trier les différentes activités de la journée en écartant l’inutile et en prenant soin de l’essentiel, car nous serons plus sensible à la grâce de Dieu. Bien évidemment, l’humilité est un long chemin qui requiert la vertu de patience pour l’emprunter.
La douceur
J’espère qu’avec tout ce qui vient d’être dit, la vertu de douceur vous apparaîtra nécessaire pour réussir à progresser dans la réalisation de ces deux exercices que sont l’examen de conscience et l’oraison du matin. La douceur n’est pas seulement la vertu qui modère la colère, colère contre les autres mais aussi, et surtout ici, colère contre soi. La douceur est aussi la tendresse à l’égard de soi. C’est le fait de savoir chaque jour s’accueillir soi-même comme un petit enfant fragile qui a besoin de protection, de réconfort, de chaleur humaine, de confiance inconditionnelle, pour pouvoir grandir, pour pouvoir développer son plein potentiel. Prendre le temps chaque soir et chaque matin de nous en remettre entre les bras tendre du Père, c’est d’abord et avant tout faire preuve de douceur et de tendresse à l’égard de soi-même.
En faisant preuve de douceur avec nous-même nous développons notre vertu de douceur qui sera si agréable à vivre pour ceux qui vivent avec nous. Plus encore, en faisant preuve de douceur, nous imitons pleinement Jésus en nous en remettant à la tendresse du Père. Jésus ne dit-il pas en effet :
« Sachez que je suis doux et humble de cœur » (Matthieu 11,29) ?
N’est-ce pas pour cette raison qu’il peut nous dire :
« Mon joug est facile et mon fardeau léger » (Matthieu 11,30) ?
En développant la douceur à l’égard de soi, nous développons l’humilité et la patience, ainsi que tous les autres vertus, car la douceur à l’égard de soi est un fruit de la charité vis-à-vis de soi : or toutes les vertus sont fortifiées par la vertu de charité !
Les entraves qui nous empêchent de réaliser un bon examen de conscience
Je voudrais revenir maintenant sur ce qui nous empêche dans l’exercice de l’examen de conscience de bien écouter notre syndérèse, cette petite voix de notre conscience. Ces entraves n’agissent d’ailleurs par seulement lors de cet examen, mais à chaque fois que nous devons prendre une décision. Or nous avons de nombreuses petites décisions à prendre chaque jour, n’est-ce pas ?
Prendre conscience des différentes entraves qui peuvent se présenter à nous, c’est se donner plus de chance de les repérer et donc, de moins nous laisser perturber par elles. J’ai essayé d’être le plus exhaustif dans la synthèse que je vous présente maintenant. Les auteurs qui m’ont particulièrement aidé pour réaliser cette synthèse sont Saint Jean Chrysostome, Saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, Frédéric Nietzsche et Max Scheler.
Voici donc les principales entraves que nous pouvons rencontrer :
- Les mauvaises persuasions : c’est-à-dire l’ensemble des idées reçues qui ne correspondent pas à la réalité. Nous recevons ses idées du Zeitgeist, l’Esprit du Temps, c’est-à-dire l’influence mauvaise de l’Esprit du monde : les modes, les publicités, les diverses propagandes à l’œuvre. Elles sont plurielles et parfois difficiles à discerner. Des hommes peuvent en être responsables, mais je crois comme Saint Paul, que c’est avant tout contre des Principautés que nous nous battons. Par Principautés, il faut entendre des démons, des anges déchus. Cela explique pourquoi des personnes qui ne se connaissent pas peuvent diffuser des idées équivalentes. Je ne nie pas l’existence de sociétés secrètes, elles ont certainement leur rôle, mais je crains fort qu’elles soient elles-mêmes manipulées, en le sachant ou non d’ailleurs, par des intelligences séparées supérieures.
- Les coutumes dépravées : cela correspond au mauvaises habitudes qui nous viennent des mœurs de nos sociétés. Elles peuvent être nombreuses et très variées. Elles peuvent naître des mauvaises persuasions.
- Les habitus corrompus, que l’on désigne plus régulièrement par le terme de vices : à la différence des deux premières entraves, nous sommes beaucoup plus responsables de leur influence, puisque c’est nous-même qui choisissons de les entretenir. Les mauvaises persuasions à l’œuvre dans la pensée économique depuis Bernard Mandeville, voudraient nous faire croire, que les vices sont profitables, et qu’il ne faudrait donc pas les combattre, que ce serait même mauvais pour le développement de la richesse des nations ! Plus le mensonge est gros, plus il fait son effet !
- Les désirs ardents que l’on appelle aussi dans le langage ancien, les concupiscences : c’est l’ensemble des désirs qui dépassent un certain seuil d’intensité. En deçà du seuil, notre volonté est tout à fait capable d’y résister, elle garde le contrôle et ne se laisse pas déterminer par eux. En revanche, au-delà d’un certain seuil, notre volonté n’arrive plus à leur résister et se laisser gouverner par eux. Évidemment, dans une société où le développement de la volonté se pratique assez peu, nous pouvons nous retrouver avec une volonté tellement faible que le seuil se retrouve très bas, et nous sommes à la merci des nombreuses influences du moment.
- La cupidité, qui est le désir ardent des richesses et non pas simplement le désir ardent de l’argent : je le mets à part des autres désirs ardents car il gouverne particulièrement les hommes d’hier et d’aujourd’hui. D’ailleurs Jésus en était particulièrement conscient car il est le seul dans toute la Bible à parler du démon responsable de l’entretenir en nous, Mammon. J’y vois un signe particulier de son importance.
- Les émotions ardentes, c’est-à-dire toutes les émotions un peu trop fortes pour que nous réussissions à les modérer. Il en existe beaucoup : les colères fortes, les peurs, les douleurs intenses, etc. La vertu de tempérance est justement chargée de les modérer, mais comme il est assez rare de recevoir une éducation qui fortifie notre vertu de tempérance, nous sommes nombreux à manquer de tempérance.
- Et enfin, nos ressentiments. Je dois à Frédéric Nietzsche de m’avoir fait prendre conscience de ce sentiment même si je l’ai mieux compris grâce à Max Scheler. Le ressentiment naît en nous quand nous éprouvons un sentiment d’injustice doublé d’un sentiment d’impuissance. C’est un sentiment parfois difficile à détecté car il est souvent refoulé. L’une de ses actions sur nous, c’est de modifier le sens des valeurs. En d’autre terme, il vient déformer ce que nous dit notre syndérèse, empêchant la syndérèse d’éclairer correctement nos actions. Cela peut aller jusqu’à l’inversion des valeurs.
L’examen de conscience comme protection vis à vis des Principautés
Je voudrais terminer cet article en redisant ce que Saint Paul nous dit dans sa lettre aux Éphésiens, chap. 6, v. 12 :
« Car nous ne luttons pas contre des êtres de sang et de chair, mais contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres, les Principautés, les Souverainetés, les esprits du mal qui sont dans les régions célestes. »
Après avoir écouté l’enseignement qui a été donné cet été (2017) à la Sainte Baume par les frères dominicains Jean-Michel Garrigues, Philippe-Marie Margelidon et le père Benoît Domergue, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il était précieux de distinguer en nous ce qui vient de notre syndérèse et de notre propre conscience, et ce qui vient d’influences extérieures, que ce soient des influences du monde ou des influences spirituelles mal intentionnées.
Comme les Principautés semblent avoir le pouvoir d’influencer notre imagination, nos désirs et nos émotions, il me semble bon en effet d’apprendre à discerner quelles sont les images, les désirs et les émotions qu’il nous faut conserver, et ceux que nous devons rejeter. En apprenant à distinguer ce que nous voulons, de ce que nous imaginons, nous désirons ou ressentons, nous pouvons peu à peu reprendre le contrôle de notre vie.
Comme malheureusement, il n’est pas facile de réaliser ce discernement seul, je comprends pourquoi Saint François de Sales insiste sur l’importance de l’examen de conscience et de l’oraison du matin. Cela nous apprend peu à peu à nous en remettre à l’action de l’Esprit Saint en nous.
Le directeur spirituel
Il insiste aussi sur l’importance de trouver un directeur spirituel qui soit plein de charité, de science et de prudence pour nous aider à progresser dans la dévotion, c’est-à-dire à apprendre à se laisser guider de plus en plus par la Sagesse et la Tendresse du Père. Je ne sais pas dire si c’est en raison de l’influence de Molière, avec sa pièce Le Tartuffe, qui nous a rendu méfiant vis-à-vis des directeurs spirituels en raison de l’hypocrisie de certains, ou en raison de l’influence des modernes qui nous incitent à l’autonomie plutôt qu’aux conseils de prudence, ou en raison du manque de charité dont auraient fait preuve certains conseillers que nous avons rencontrés par le passé, ou encore en raison de ressentiments encore présents en nous liés à des trahisons passées, ou encore en raison des affaires diverses et variées qui touchent notre Église et dont le médias aiment tant nous parler, mais j’ai l’impression qu’il n’est pas facile pour nous d’entendre ce conseil de chercher un directeur spirituel.
François de Sales nous recommande d’en demander un à Dieu et d’accepter celui qu’il nous donnera. Est-ce facile à faire aujourd’hui ?
Je vous laisse méditer sur cette dernière interrogation qui n’est peut-être que la mienne.