Présentation
Nous avons, avec le texte que nous allons voir maintenant et le suivant, les nouveautés conceptuelles principales que propose le livre Du mensonge à la violence d’Hannah Arendt en philosophie politique. Dans ce texte, deux notions sont distinguées : la notion de pouvoir et la notion de puissance. Il est possible de relier la notion de pouvoir à la notion biologique de symbiose. C’est pourquoi, il me semble utile de revoir ici cette notion avec Marc-André Selosse, biologiste français spécialisé en botanique et en mycologie :
Texte d’Hannah Arendt sur Pouvoir et Puissance
« Le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle ; il appartient à un groupe et continue à lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n’est pas divisé. Lorsque nous déclarons que quelqu’un est « au pouvoir », nous entendons par là qu’il a reçu d’un certain nombre de personnes le pouvoir d’agir en leur nom. Lorsque le groupe d’où le pouvoir émanait à l’origine se dissout (potestas in populo1 — s’il n’y a pas de peuple ou de groupe, il ne saurait y avoir de pouvoir) son « pouvoir » se dissipe également. Dans le langage courant, lorsqu’il nous arrive de parler du « pouvoir d’un homme », du « pouvoir d’une personnalité », nous conférons déjà au mot « pouvoir » un sens métaphorique : nous faisons en fait, et sans métaphore, allusion à sa « puissance ».
La puissance désigne sans équivoque un élément caractéristique d’une entité individuelle ; elle est la propriété d’un objet ou d’une personne et fait partie de sa nature ; elle peut se manifester dans une relation avec diverses personnes ou choses, mais elle en demeure essentiellement distincte. La plus puissante individualité pourra toujours être accablée par le nombre, par tous ceux qui peuvent s’unir dans l’unique but d’abattre cette puissance, à cause justement de sa nature indépendante et singulière. L’hostilité presque instinctive du nombre à l’égard de l’homme seul a toujours été attribuée, de Platon jusqu’à Nietzsche, au ressentiment, à l’envie qu’éprouve le faible à l’égard du fort, mais cette explication psychologique ne va pas au fond des choses. Cette hostilité est inséparable de la nature même du groupe, et du pouvoir qu’il possède de s’attaquer à l’autonomie qui constitue la caractéristique même de la puissance individuelle. »
Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, pp. 144-145. Version imprimable : MV9
Pour aller plus loin
Ceux qui voudraient approfondir la philosophie politique d’Hannah Arendt peuvent écouter avec profit l’enregistrement audio de la conférence donnée par Étienne Tassin en décembre 2012 à l’Université Populaire d’Arcueil. Cette conférence dure presque 2h et demie et en découragera sans doute beaucoup par sa longueur, mais elle pourrait permettre à ceux qui auront besoin dans les mois et années qui viennent de consolider leurs concepts politiques de mieux se repérer :
Enfin, nous avons la chance de pouvoir consulter en ligne l’article de Yves Syntomer, membre de l’Institut universitaire de France qui s’intitule Pouvoir et autorité chez Hannah Arendt. Les étudiants ou les collègues qui pourraient consulter ce site pourront en tirer profit.
J’ai choisi de mettre en image principale une photo représentant le partenariat possible entre l’homme et l’oiseau pour montrer que la véritable action est au service de la vie et demande à la fois délicatesse et attention bienveillante. La deuxième image quant à elle représente plutôt un symbole de la puissance. Nous verrons dans un prochain article, que la définition du pouvoir chez Hannah Arendt permet d’envisager deux formes opposées de pouvoir qui sont déjà dans ce texte esquissées.