La technocratie conduit à la tyrannie
Dans le texte que nous allons découvrir maintenant, nous voyons qu’Hannah Arendt ne partage pas du tout l’optimisme du conseiller des présidents américains, Zbigniew Brzezinski. Elle nous met en garde contre ce que nous pourrions appeler la technocratie, que ce conseiller désigne par technétronique.
Remarquons que la mise en garde que nous fait Hannah Arendt ici, porte d’abord sur le rôle apolitique que les universités doivent conserver pour prétendre encore servir la recherche de la vérité. Il est alors intéressant de constater que cela va à l’encontre de la politique conseillée par l’économiste américain Walter Lippmann en 1937 dans son livre La cité libre, qui sera l’un des actes fondateurs du néo-libéralisme. Il conseillait aux hommes politique de nos démocraties de fabriquer le consentement des masses afin de les conduire vers l’adaptation de l’espèce humaine à la mondialisation de notre économie. Pour réussir ce consentement des masses, il leur préconisait de prendre le contrôle des médias et des sciences humaines via les universités. Walter Lippmann aura de nombreux disciples, dont l’un qui aura une influence importante avec son livre Propaganda : Edward Bernays. Si vous voulez en savoir plus sur la fabrique du consentement, je vous recommande alors ce documentaire d’Arte qui revient sur l’art de la propagande enseigné par Bernays :
Ceux qui voudraient mieux découvrir la doctrine de Walter Lippmann et ses sources de pensées, peuvent consulter à leur avantage, le dernier livre de la philosophe française, Barbara Stiegler : « Il faut s’adapter ». Et si vous n’avez pas le temps de consulter son livre, vous pouvez toujours regarder l’entretien vidéo qu’elle vient de donner dernièrement à la chaîne Youtube Thinkerview :
Découvrons maintenant le texte d’Hannah Arendt :
« On accuse généralement les étudiants rebelles d’avoir été à l’origine de la politisation des universités, justement déplorée, du fait qu’ils s’attaquaient, dans cette institution, au maillon le plus faible de la chaîne des pouvoirs établis. Il est parfaitement exact que les universités seront incapables de survivre si « le détachement intellectuel et la recherche désintéressée de la vérité » devaient disparaître ; et, ce qui est plus grave, il est assez improbable qu’un type quelconque de société civilisée soit capable de survivre à la disparition de ces curieuses institutions, dont l’impartialité et l’indépendance à l’égard de toute pression sociale et politique constituent précisément l’essentiel du rôle politique et social qu’elles remplissent. La vérité et le pouvoir, phénomènes tous deux légitimes dans leur domaine propre, sont essentiellement distincts, et leur recherche conduit à des genres d’existence très différents. Zbigniew Brzezinski, dans « America in the Technotronic1 » (Encounter, janvier 1968), aperçoit bien ce danger de les confondre, mais il semble s’y résigner, ou ne pas s’alarmer particulièrement de cette perspective. La « technétronique », estime-t-il, ouvre la voie à une nouvelle « superculture », sous la direction d’« intellectuels pourvus de l’esprit d’organisation et du sens des applications pratiques ». (Voir particulièrement à ce propos la récente analyse critique de Noam Chomsky, « Objectivité et culture libérale2 »). Et bien, il paraît beaucoup plus probable que cette nouvelle mouture d’intellectuels, connue précédemment sous le nom de technocrates, ouvre la voie à une ère de tyrannie et de totale stérilité. »
Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, p. 195. Version imprimable ici.
En ouverture, on peut remarquer que la crainte dont elle témoigne ici rejoint en quelque sorte l’inquiétude mise en évidence par Aldous Huxley dans son livre Le meilleur des mondes. J’en profite donc pour vous indiquer l’existence des deux vidéos suivantes :
- Un résumé en anglais d’une dizaine de minutes du Meilleur des Mondes :
- Et un film réalisé par la BBC, que l’on trouve disponible sur youtube, qui reprend presque l’intégralité du livre d’Aldous Huxley :