Comme nous le montre l’histoire avec la révolte des esclaves romains conduite par Spartacus, se battre contre l’oppresseur en utilisant les mêmes armes que lui est voué à l’échec. La fin de la série Spartacus nous le montre bien :
On a tendance à rêver de révolutions ou de révoltes comme si elles pouvaient résoudre nos problèmes, comme si elles pouvaient trouver des solutions pérennes aux injustices que nous vivons ou dont nous sommes les témoins. Hannah Arendt nous rappelle malheureusement, en s’appuyant sur les appels à la révolte de certains opprimés du tiers-monde, dont Franz Fanon, que la réalité n’a que très rarement, sinon jamais, trouver des lendemains qui chantent, suite aux soulèvement des opprimés.
Nous qui vivons presque 40 ans après ce qu’elle dit ici, nous pouvons percevoir la pertinence de ses propos en comparant l’état actuel de la pauvreté dans les pays « libérés » de la colonisation et ce qu’ils vivaient à son époque. Ce qui vaut pour la décolonisation, vaut évidemment pour d’autres formes d’injustices.
Cela ne veut pas dire que la résistance aux injustices est impossible mais plutôt que la violence ne permet pas de les combattre efficacement, or la révolte ou la révolution conduisent presque nécessairement à la violence. Pour le dire autrement, Rosa Parks et Martin Luther King ont été plus efficaces finalement que le FLN, il suffit de voir les événements actuels en Algérie pour s’en rendre compte.
« Qui donc a jamais douté que les misérables rêvent de violence, et que l’opprimé « rêve en permanence » de s’installer à la place de l’oppresseur, que le pauvre rêve d’avoir ce que possède le riche, que le persécuté rêve d’« abandonner son rôle de gibier pour prendre celui de chasseur », et rêve en fin de compte du royaume où « les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers1 » ? Mais le point important, comme Marx l’avait perçu, c’est que les rêves ne se transforment jamais en réalité. On sait combien les révoltes d’esclaves et les soulèvements de spoliés et de déshérités sont rares ; lors des rares occasions où ils se sont produits, c’est précisément la « folie furieuse » qui a transformé les rêves en cauchemar généralisé. En aucun cas, à ma connaissance, la force de ces explosions « volcaniques », pour reprendre les termes de Sartre, n’a été égale « à la pression qui a été subie ». Confondre ce genre de révolte avec les mouvements de libération nationale revient à prophétiser leur échec — sans compter qu’une improbable victoire n’aurait nullement pour effet de changer le monde (ou le système), mais d’en changer les dirigeants. Penser, en fin de compte, qu’il existe réellement une « unité du tiers monde », à laquelle pourrait s’adresser le nouveau slogan de l’ère de la décolonisation : « Indigènes de tous les pays sous-développés, unissez-vous ! », n’est-ce pas, à une beaucoup plus vaste échelle, retomber dans les pires illusions de Marx, et d’une façon encore moins justifiée ? Le tiers monde n’est pas une réalité, mais une idéologie2. »
Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, pp. 124-125. Version imprimable : MV5
- Franz Fanon, Les damnés de la terre, p. 19. ↩
- En porte à faux entre les deux superpuissances, et déçus par le comportement de l’Est comme par celui de l’Ouest, les étudiants « sont inévitablement à la recherche d’un autre type d’idéologie, celle de Cuba de Castro ou celle de la Chine de Mao »(Spender, ? P. 92). Leurs appels montent vers Mao, vers Castro, vers Che Guevara, Ho Chi Minh, comme des incantations religieuses invoquant un sauveur venant d’un autre monde ; ils s’adresseraient aussi bien à Tito si la Yougoslavie était plus lointaine et moins aisément approchable. Il en va différemment dans le cas du « Black Power » ; pour ce mouvement, la solidarité idéologique avec une inexistante « unité du tiers monde » est tout autre chose qu’une absurdité romantique. Il a un intérêt évident à l’établissement d’une dichotomie entre les Noires et les Blancs ; à l’évidence, il s’agit encore d’une idéologie d’évasion, d’évasion dans un rêve où les Noirs constitueraient l’écrasante majorité de la population mondiale. ↩