Introduction
Vous trouverez la version PDF de cette page ici : L’intelligence humaine
La nature humaine
Les philosophes depuis longtemps définissent l’homme comme l’animal rationnel. Être humain, c’est donc essentiellement être capable de raisonner, de donner des justifications pour reconnaître que des choses sont vraies. Nous avons évidemment d’autres capacités que nous partageons avec les animaux, mais il est bon de bien connaître nos propres spécificités. Retenons que le propre de l’être humain et qui le différencie des autres animaux, c’est qu’il est capable de connaître des vérités de manière consciente, et qu’il est capable de découvrir de nouvelles vérités à partir d’autres vérités déjà connues. Il est aussi capable de raisonner sur le possible et le probable.
La première chose qu’il faut donc mémoriser, c’est que l’homme est certes un animal parmi les autres animaux, mais un animal différent des autres animaux. Comme nous l’avons vu, avec les animaux il partage la sensibilité ainsi que la capacité à communiquer cette sensibilité. Cependant, ce qui le distingue des animaux, c’est qu’il a une faculté supplémentaire que les animaux ne possèdent pas ou du moins qu’il est difficile de trouver un animal qui nous fournisse les preuves qu’il possède comme nous toutes les spécificités que possèdent notre intelligence. Dans ce cours, je me focaliserai sur les spécificités de l’intelligence humaine. L’homme possède deux autres facultés qui le distingue des animaux, c’est la volonté et le cœur. Cependant, je ne développerai pas ces 2 autres facultés dans ce cours.
La logique
Il se trouve que la science qui s’intéresse à l’étude du raisonnement s’appelle la logique. Le mot logique vient du grec ancien logos, qui signifiait à la fois, propos, discours, paroles mais aussi en ionien-attique (le grec ancien parlé entre autre par la cité d’Athènes) récit, compte, explication, considération, raisonnement, raison et paroles. Dans la théologie catholique, ce mot désigne encore aujourd’hui la Deuxième Personne de la Trinité, c’est-à-dire Le Christ. Le nom commun logos est dérivé du verbe legein qui signifie d’abord rassembler, cueillir, choisir puis dire, compter, dénombrer. J’aimerais déjà vous aider à mémoriser que dans l’origine du mot logique, il y a un verbe qui veut dire rassembler, qui veut dire, si on prend le temps d’y réfléchir, prendre ensemble. Or en français, le verbe qui veut dire prendre ensemble se dit actuellement comprendre. Et l’acte réalisé par ce verbe, est désigné par le français actuel la compréhension. Si j’insiste sur ce mot de compréhension sous-entendu dès l’origine dans le mot logique, c’est parce qu’aujourd’hui on oublie la plupart du temps de dire que c’est l’un des principaux actes de l’intelligence, et qu’il est en définitive abusif voire mensonger de dire qu’un être ou qu’une machine pourrait être intelligente si elle ne possède pas cette faculté de comprendre.
Malheureusement, la logique ne s’enseigne presque plus aujourd’hui. Elle ne s’enseigne pas au lycée (sauf par ce cours), et l’enseignement de la logique en fac n’existe que dans de rares disciplines. Et même là, elle n’aborde plus certains sujets qu’abordaient les anciens, l’acte d’ailleurs qu’elle ne présente plus c’est d’ailleurs l’acte de comprendre. Ainsi, peu de nos contemporains ont eu de réels cours de logique. Ils raisonnent donc en connaissant mal ce que représente cet acte de raisonner et en connaissant très mal les règles d’un bon raisonnement. Je vais donc vous faire une présentation de ce que nous apprend la logique sur notre capacité à raisonner. Je ferai cela grâce à un philosophe américain toujours vivant qui s’appelle Peter KREEFT connu aux USA pour son livre Socratic Logic. Ce livre n’est malheureusement pas traduit en français. Je traduis donc en partie et assez librement dans un premier temps les pages 26-27 de ce livre pour vous faire cette petite présentation de la logique, c’est-à-dire de la science du raisonnement. La faculté de raisonner qu’on désigne souvent par les mots de raison ou d’intelligence, qui représente l’une des spécificités de notre espèce humaine doit en effet d’abord être bien comprise avant de pouvoir bien la développer.
Bien la comprendre, permet aussi de comprendre pourquoi il paraît difficile de parler d’un langage animal même si évidemment il ne s’agit pas de remettre en question l’existence de communications animales voire de communications inter-espèces. D’ailleurs les grecs anciens conscients de la différence entre l’expression animale et le langage humain, ne disaient pas « zōike logos » pour désigner l’expression animale mais bien « zōike opa » ou opa signifie plutôt le son plutôt que la parole rationnelle.
Si nous regardons l’ensemble des raisonnements humains qui s’expriment grâce à notre faculté de parler, nous apercevons dans ces raisonnements des formes reconnaissables, des structures reconnaissables. Peu importe les sujets abordés, le contexte dont on parle, nous trouvons toujours les mêmes structures. La science qu’on appelle la logique étudie justement ces structures de raisonnement. La structure fondamentale de tous nos raisonnements, c’est le mouvement que notre esprit réalise en passant des prémisses à une conclusion. La conclusion est justement ce que l’on essaie de prouver comme étant vraie. Les prémisses sont les raisons qui justifient la vérité de la conclusion. Si les prémisses sont vraies et que le raisonnement est valide, alors la conclusion sera vraie. Si les prémisses sont possibles et que le raisonnement est valide, alors la conclusion sera possible ou probable (parfois certaine, mais à condition que la conclusion soit particulière). Si les prémisses sont fausses et que le raisonnement est valide, la conclusion sera tout de même fausse. Si le raisonnement est invalide, les cas de figures sont variables, mais il est à craindre que la conclusion soit fausse.
Déduction et induction
Les deux formes principales de raisonnement sont l’induction et la déduction. L’induction raisonne à partir de prémisses particulières (par exemple, « je suis mortel », « vous êtes mortels », « elle est mortelle », « il est mortel »), pour déduire une affirmation plus générale voire une affirmation universelle (par exemple, « tous les hommes sont mortels »). L’induction est donc le raisonnement qui va du particulier au général ou à l’universel.
La déduction commence d’abord par au moins une prémisse universelle vraie (par exemple, « tous les hommes sont mortels ») pour aboutir à une conclusion plus particulière (par exemple, « Socrate est mortel »). La déduction représente donc le mouvement inverse, elle part de l’universel pour aboutir au particulier.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’induction ne conduit qu’au probable, rarement à la certitude (il y a quelques exceptions). On ne peut pas être certain que tous les hommes sont mortels en constatant seulement la mortalité de tel ou tel homme. Au contraire, quand la déduction est bien conduite, elle aboutit à la certitude. Nous sommes certains en revanche que si tous les hommes sont mortels, et que je suis un homme, alors je suis aussi mortel.
Un raisonnement déductif réussit à prouver que sa conclusion est vraie, si et seulement si il remplit 3 conditions. Si vous voulez comprendre ce que c’est que raisonner vous devez retenir ces trois conditions. Ces trois conditions sont les 3 items de votre check-liste que vous devez cocher si vous voulez que votre raisonnement conduise à la vérité. La puissance de la nature humaine, c’est exactement cela, être capable de connaître des vérités.
Les trois conditions d’un raisonnement déductif vrai
- Les termes utilisés doivent être clairs et donc non-ambigus. Si un terme est ambigu, il faut alors le définir pour le rendre clair. Sinon les différentes parties du raisonnement peuvent croire qu’elles parlent de la même chose alors que ce n’est pas forcément le cas.
- Les prémisses doivent être vraies. Car sinon on pourrait prouver n’importe quoi même avec un raisonnement valide. Par exemple, le raisonnement suivant est valide dans sa structure argumentative, mais il est pourtant complètement faux. « Tous les martiens sont infaillibles, or je suis un martien, donc je suis infaillible ».
- Les arguments doivent être valides. C’est-à-dire que la conclusion doit venir nécessairement des prémisses, de telles manières que si les prémisses sont vraies, la conclusion ne peut qu’être vraie aussi.
Précisions importantes
- Un terme en logique est le sujet ou le prédicat d’une proposition, c’est-à-dire d’une phrase déclarative. Les termes sont soit clairs soit confus. Les termes ne sont ni vrais ni faux. Quand je dis par exemple mortel, ce terme n’est ni vrai ni faux, il est seulement clair si vous le comprenez. En revanche, la proposition « tous les hommes sont mortels » est vraie, et la proposition « certains hommes sont immortels » est fausse.
- Les propositions sont des phrases déclaratives. Elles sont soit vraies, soit fausses. Il n’y a pas de troisième possibilité. C’est ce que l’on appelle le principe du tiers exclu. Pour être précis, vrai veut dire « qui correspond à la réalité », et faux, qui ne correspond pas à la réalité. Il n’existe malheureusement pas un unique moyen infaillible de dire si une proposition est vraie ou fausse. Il faut donc faire une recherche et une vérification pour chaque proposition. Certaines vérifications sont aisées, d’autres non. Concernant la vérité d’une proposition il faut bien faire la différence entre la vérité de cette proposition et la connaissance que nous avons ou non de cette vérité. Ce n’est pas parce que la vérité d’une proposition ne nous est pas connue que cette proposition est indéterminée. Elle est vraie ou fausse, mais pas les deux en même temps. L’impossibilité de connaître la vérité à notre niveau ne dit rien de la vérité ou de la fausseté de la proposition. Il faut donc distinguer deux plans, deux niveaux quand on parle de vérité, le plan du réel, c’est ce que l’on nomme le plan ontologique, et le plan de notre connaissance, que l’on nomme plan épistémologique. Beaucoup de confusions philosophiques viennent de la confusion de ces deux plans.
- En revanche, il existe des moyens simples et infaillibles pour déterminer si un argument est valide ou invalide, ce sont les règles de la logique. C’est justement à cela que sert cette science qu’on appelle la logique.
Spécificités des arguments logiques
Un argument déductif est logiquement valide si sa conclusion découle nécessairement de ses prémisses. Il est logiquement invalide si ce n’est pas le cas. Il existe de nombreuses formes d’argument déductif différents, et chaque forme possède ses propres règles de validité. C’est pourquoi la logique est une science (et un art), elle demande de connaître les différentes formes de raisonnement et les différentes règles de validité.
Toutes les règles de chaque forme d’argument déductif sont naturels à cette forme d’argument (elles n’ont pas été inventées par les êtres humains mais découvertes). Elles font donc partie de la nature de notre esprit humain. Elles ont été découvertes par cette capacité que l’esprit humain possède de réfléchir à son propre fonctionnement. La logique ne fait rien de plus que de rendre explicite les règles que les personnes humaines connaissent de manière innée grâce à leur sens commun.
Les arguments sont composés de propositions (les prémisses et la conclusion). Les propositions sont composés de termes (sujet et prédicat). Les termes sont soit clairs soit confus. Les propositions (que ce soient les prémisses ou la conclusion) sont soit vraies soit fausses. Les arguments sont soit logiquement valides soit logiquement invalides. Seuls les termes peuvent être clairs et confus, seules les propositions peuvent être vraies ou fausses, seuls les arguments peuvent être logiquement valides ou invalides.
Ainsi les trois questions que vous devriez vous poser quand vous écrivez ou quand vous parlez, ou encore quand vous lisez ou que vous écoutez des propos sont :
- Est-ce que les termes sont clairs et non-ambigus, non confus ?
- Est-ce que les prémisses sont toutes vraies ?
- Est-ce que le raisonnement (l’argument) est logiquement valide ?
Si la réponse à ces 3 questions est positive, alors la conclusion du raisonnement (de l’argument) est nécessairement vraie.
Ainsi si vous voulez être en désaccord avec telle ou telle conclusion, vous devez montrer qu’il y a soit un terme confus, soit une prémisse fausse, soit une erreur logique (on parle aussi d’erreur fallacieuse, de sophisme ou de paralogisme) dans le raisonnement ou l’argumentation de telle manière que la conclusion ne découle pas nécessairement des prémisses. Si vous ne pouvez pas faire ces trois choses, alors l’honnêteté vous demande d’admettre que la conclusion a été prouvée comme vraie.
Évidemment ceci ne s’applique qu’aux arguments déductifs car les arguments inductifs ne prétendent généralement pas atteindre la certitude. Les arguments inductifs conduisent le plus souvent, au mieux, au probable, et au pire, au possible. Dans de rares exceptions, pour les ensembles finis et humainement dénombrables, l’induction peut conduire à la certitude. Cela n’est possible que si nous avons pu vérifier tous les cas disponibles et si la conclusion ne généralise que sur les cas vérifiés.
Les arguments inductifs qui prétendent atteindre l’universel alors qu’ils portent sur un ensemble de cas impossibles à vérifier dans leur totalité font partie des sophismes, ce sont des généralisations abusives.