Dans ce cours nous continuons à découvrir l’importance du premier acte de l’intelligence : la compréhension. Je m’appuis, là encore, sur le livre de Peter Kreeft, Socratic Logic, plus précisément, des pages 123 à 130. Vous trouverez la version PDF de ce cours ici : La définition.
Nature de la définition
La définition est essentielle en logique. C’est elle en effet qui nous dit ce qu’est une chose. C’est la réponse à la première question que l’intelligence se pose : « Qu’est-ce que c’est ? » Et si nous ne savons pas ce qu’est une chose par le premier acte de l’intelligence alors nous ne pouvons pas juger correctement, c’est-à-dire utiliser le deuxième acte de l’intelligence. Nous ne savons pas non plus si une propriété lui appartient ou non. De même, si nous ne savons pas ce qu’est une chose, nous n’avons pas de proposition vraie sur elle pour pouvoir commencer le troisième acte de notre intelligence, c’est-à-dire le raisonnement, la démonstration ou l’argumentation.
L’art de définir les termes est donc essentiel, puisque c’est le point de départ du fonctionnement de notre intelligence. Nous avons dit auparavant que la première condition que nous devions vérifier pour savoir si nos raisonnements sont vrais, c’était de savoir si les termes utilisés étaient clairs. Or la définition, c’est justement ce qui permet de clarifier le sens des termes que nous utilisons dans nos raisonnements.
La définition s’intéresse à la compréhension d’un terme. Elle permet de séparer à l’intérieur de son sens essentiel, ce qui relève de son genre (son aspect commun avec d’autres réalités proches de lui) de sa différence spécifique (ce qui le distingue des autres réalités proches de lui).
Une définition nous dit ce qu’est une chose. La meilleure définition que nous pouvons trouver pour un terme, c’est sa définition essentielle, elle nous donne l’essence de la chose visée en nous fournissant son genre et sa différence spécifique. C’est la définition maximale que nous pouvons trouver pour un terme. La définition minimale quant à elle, consiste à distinguer la chose définie de toutes les autres choses, de telle manière que nous ne confondions pas cette chose avec les autres choses.
La définition maximale, la définition essentielle, est claire et distincte. Tandis que la définition minimale n’est que distincte. Si nous n’arrivons pas à trouver, quand nous écrivons ou quand nous parlons, la clarté parfaite, parce que nous n’arrivons pas à trouver la définition essentielle de la chose considérée, nous devons au minimum savoir ce qu’elle n’est pas (c’est-à-dire la différencier des autres choses). Le mot définition en lui-même veut d’ailleurs dire délimitation, mettre des limites autour de la chose concernée pour la distinguer des autres choses.
Si nous ne sommes pas capable de définir une chose, alors nous ne savons pas de quoi nous parlons. C’est pourquoi la qualité d’un écrit ou d’un discours se juge d’abord sur la qualité des définitions. C’est pourquoi je vous ai répété à de nombreuses reprises qu’une bonne dissertation ou une bonne étude ordonnée prennent soin de bien clarifier les concepts visés par la question posée ou par le texte donné.
La limite de la logique formelle actuelle, qu’on appelle aussi logique mathématique, c’est qu’elle ne s’intéresse pas aux définitions essentielles des choses. Elle est implicitement nominaliste, elle exclut la notion d’essence.
Les règles pour une bonne définition
Il existe 6 règles pour réussir à obtenir une définition acceptable :
- Une définition doit posséder le bon degré de précision, de focus, vis-à-vis de la chose visée. Elle ne doit pas être trop vaste et ainsi confondre la chose avec d’autres choses proches, mais pas trop resserrée pour pouvoir réussir à désigner la chose considérée et toutes celles qui lui ressemblent. Les logiciens parlent de coextensivité.
- Une définition doit être claire, c’est-à-dire non obscure, non ambiguë.
- Une définition doit être littérale et non pas métaphorique.
- Une définition doit être brève et non trop longue.
- Une définition doit être positive et non pas négative, si possible. En effet, seules les réalités négatives demandent à recevoir des définitions négatives. Par exemple, le mal se définit comme la privation d’un bien, le néant, c’est le fait qu’il n’y ait rien.
- Une définition ne doit pas être circulaire : le terme défini ne doit pas apparaître dans la définition. Autant, cela peut être un jeu de mot en informatique comme GNU is Not Unix, autant cela ne fait pas une définition. Définir un nom commun par son adjectif correspondant est donc une très mauvaise idée. Il est donc inutile de dire que la liberté c’est le fait d’être libre, car en écrivant cela nous ne disons rien.
Pour mémoriser plus facilement, il est possible de rassembler ces 3 règles de la manière suivante, une définition doit être :
- Coextensive (= avoir le bon focus),
- Claire, littérale et brève,
- Ni négative, ni circulaire.
Les types de définition
Il existe plusieurs types de définitions et le type le meilleur est le deuxième :
- La définition nominale, c’est la définition du mot tel qu’il est utilisé à différentes époques plutôt que la définition de la chose visée. C’est une erreur fréquente que certains philosophes font (ou certains professeurs de philosophie, ou certains élèves). Elle consiste à confondre le sens d’un mot avec le sens de la chose visée. C’est pourquoi pour trouver le sens de la chose visée, il vaut mieux chercher le sens du concept, ou le sens du terme Voir le cours sur la compréhension, plutôt que le sens du mot. En latin la question correspondante est : quid nomini ?
- La définition essentielle, elle, donne le genre et la différence spécifique. La définition essentielle correspond à la définition par la cause formelle. En latin la question correspondante est : quid rei ?
- La définition par les propriétés. On appelle propriétés, les caractéristiques essentielles d’une chose, à la différence des caractéristiques accidentelles. Un homme possède la propriété d’avoir la faculté que l’on désigne par le terme de volonté. Cela fait partie de sa nature. En revanche, il peut ne pas avoir de cheveux, et rester un homme. Les cheveux sont donc des caractéristiques accidentelles.
- La définition par les accidents, elle donne les caractéristiques actuelles de la personne mais qui ne sont pas essentielles. La coupe de cheveux, le vêtement porté, etc. La difficulté, c’est de donner suffisamment d’accidents pour que la chose ne soit pas confondue avec une autre. Lors de certaines enquêtes policières, elle peut cependant être nécessaire pour réussir à arrêter le coupable.
- La définition par la cause efficiente, on appelle aussi cette définition : définition génétique. Par exemple : une éclipse de soleil est un événement astronomique causé par le passage de la lune entre la lumière provenant du soleil et la terre, l’empêchant de nous parvenir. Autre exemple : un gland est le fruit du chêne.
- La définition par la cause finale, par exemple : une maison est une construction humaine permettant de se protéger des intempéries. Autre exemple : l’œil est un organe permettant de voir. Autre exemple : un crayon est un instrument permettant d’écrire.
- La définition par la cause matérielle, ou par sa composition. Par exemple : la molécule d’eau est composée de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène (H2O). Un poisson est un animal avec des écailles. Cette définition est confuse car on pourrait prendre le pangolin pour un poisson. Peut-être qu’il vaudrait mieux dire, le poisson est un animal possédant des branchies (mais là encore cela risque d’être imprécis).
- La définition par les effets. Par exemple, un cancérigène est une molécule qui peut provoquer un cancer.
Les définitions nominales
Les définitions nominales sont des définitions d’un nom ou d’un mot. Elles ne sont pas nécessairement des définitions des réalités sous-jacentes au nom ou au mot. Elles répondent à la question : « Comment ce mot est-il utilisé ? » plutôt qu’à celle-ci : « Quelle est cette chose ? » Une bonne partie des définitions du dictionnaire ont tendance à être des définitions nominales.
Il existe plusieurs sortes de définitions nominales :
- Celle qui donne le sens usuel du mot ou son sens conventionnel, c’est la définition lexicale.
- Celle qui donne un sens spécialisé du mot, celui qui est fixé par l’auteur. Par exemple : « Nous définirons comme “pratique socialement acceptable” toute pratique que plus de 50% de la société approuve ». On appelle aussi ces définitions, des définitions stipulatives.
- Celle qui donne un synonyme.
- Celle qui donne l’étymologie du mot. L’étymologie peut parfois nous indiquer dans quelle direction chercher la définition essentielle du mot, mais ce n’est pas toujours le cas.
- Celle qui donne des exemples de son utilisation, même si donner des exemples, ce n’est pas vraiment définir. Socrate dans Le Ménon de Platon montre combien Ménon se trompe quand il essaie de définir la vertu en général en prenant des exemples de vertus particulières.
Même si les définitions nominales ne sont pas à strictement parler des définitions des choses visées, mais plutôt des définitions de mots, et même si on ne peut donc pas vraiment leur appliquer les 6 règles pour obtenir une bonne définition, il faut cependant éviter d’avoir une définition nominale trop vaste ou trop resserrée (voir la notion de focus dont nous parlions).
Les définitions essentielles
Les définitions idéales donnent l’essence ou la nature de la chose définie en analysant le sens de cette essence en deux parties :
- La part commune, générique ou générale, c’est-à-dire le genre prochain auquel appartient la chose considérée ;
- La part spécifique, propre ou distinctive, c’est-à-dire la différence spécifique de la chose considérée.
Le genre nous donne la classe générale à laquelle la chose appartient essentiellement. L’homme est un animal, le triangle est un polygone, un marteau est un outil, la démocratie est une forme de gouvernement. Le genre que l’on doit donner est le genre prochain, c’est-à-dire celui qui est le plus proche de l’essence de la chose considérée. Non pas substance ou organisme mais animal pour l’homme. Non pas figure, mais polygone pour le triangle. Non pas société, mais forme de gouvernement pour la démocratie. L’arbre de Porphyre permet de mieux visualiser l’imbrication des genres pour réussir à trouver le genre prochain. C’est pourquoi vous trouverez à la fin de cet article, un schéma le représentant avec l’exemple classique de la définition essentielle de l’homme.
La différence spécifique nous dit comment la chose définie diffère de toutes les autres choses appartenant au même genre prochain. L’homme est un animal rationnel, les triangles sont des polygones à trois côtés, la démocratie, c’est le gouvernement par le peuple et pour le peuple.
Ainsi une définition essentielle donne l’espèce de la chose considérée. On appelle en effet espèce en logique le genre prochain plus la différence spécifique. Il faut comprendre aussi que l’espèce d’une chose, son genre prochain, sa différence spécifique, ne sont pas des catégories inventées par les hommes mais des formes extraites de la réalité et existant réellement dans la réalité. Nous les découvrons par cette capacité d’abstraction que possède notre intelligence. L’homme est donc vraiment un animal, et vraiment un animal rationnel. Ce n’est pas une convention humaine qui a établi cette définition, c’est ce que la nature nous donne à connaître.