Pouvoir et Autorité
J’ai donné, il y a 3 ans déjà, une conférence sur le Pouvoir et l’Autorité, vous trouverez ici la version initiale de cette conférence : P&Adiapo. Depuis, j’ai découvert de nouveaux auteurs, particulièrement le philosophe allemand Josef Pieper et le psychiatre français Henri Baruk. Je travaille actuellement sur le livre intitulé Le Quadrige, de Josef Pieper. J’ai donc profité de cette nouvelle lecture pour enrichir un peu le contenu de ce diaporama. J’y ai ajouté un certain nombre de considérations concernant la vertu de justice qui me semblent essentielles pour mieux comprendre la fonction perfective de l’autorité. Voici cette dernière version : Autorité. Il va me falloir encore quelques mois pour digérer ce que je découvre avec Henri Baruk sur la notion juive de Tsedek. Je vous en dirai alors un peu plus. J’espère entre temps que la suite de cet article vous donnera de quoi patienter, et ce, même si vous l’avez déjà lu. Cet article n’a pas perdu de son actualité, au contraire !
Retour sur la distinction entre pouvoir et puissance
Je me rends bien compte qu’il est difficile d’intégrer la distinction entre pouvoir et puissance mise en place par Hannah Arendt dans son livre Du mensonge à la violence. C’est pourquoi je vous incite à aller découvrir le texte où elle met en place cette distinction.
Le pouvoir relève toujours de la communauté considérée, il ne relève pas de la puissance d’une personne. Bien évidemment, une personne peut représenter cette communauté et avoir l’impression de posséder le pouvoir de la communauté, mais ce n’est qu’une impression. Tant que la communauté est soudée, elle peut garder cette impression, mais si cette communauté se divise, elle se rendra compte assez rapidement qu’elle n’a pas, par ses seules forces, la capacité de ramener l’unité dans la communauté.
Par ailleurs, une personne peut se croire dépositaire d’un pouvoir parce qu’elle a été nommée à la tête de cette communauté. Cependant cette nomination aussi légitime soit-elle ne mettra pas de manière automatique la communauté derrière elle. Elle peut très bien se faire rejeter par la communauté à plus ou moins brève échéance.
Et, même si la communauté choisit son représentant sans que ce dernier soit nommé de l’extérieur, comme il arrive prétendument dans un fonctionnement démocratique, il n’est pas dit que l’élection soit majoritaire, et même si elle l’était, il n’est pas dit que cette majorité resterait longtemps majoritaire en raison du caractère versatile des communautés.
Ainsi, c’est une illusion de croire qu’un homme de pouvoir existe réellement, il existe des apparences de pouvoir individuel, mais le pouvoir est toujours collectif.
En revanche, la puissance, elle, est individuelle. Elle est fonction des talents propres de la personne, ainsi que de sa puissance financière qui peut attrouper un certain nombre de personnes intéressées par les dividendes qu’elles peuvent en tirer. Cependant, une puissance financière est par essence fragile, car sa richesse est soumise à des aléas qui peuvent détourner l’attroupement des personnes. Soit parce que la richesse peut s’effondrer, soit parce qu’un autre riche peut séduire la cupidité de ceux qui se sont attroupés.
Pouvoir et Domination
Le véritable pouvoir repose sur l’unité de la communauté, et cette unité ne peut pas se fabriquer. Depuis Edward Bernays, on croit pouvoir fabriquer le consentement de la masse, mais en réalité ce que l’on fabrique, c’est l’attroupement de la masse, non son unité. Cette fabrique du consentement est en réalité très fragile, car pour se maintenir, il lui faut encore et encore fabriquer artificiellement le maintien du consentement. Il ne faut pas grand chose pour que cela vol en éclat. Certes, la fabrique du consentement peut durer plusieurs décennies, mais comme le consentement repose sur des mensonges et des manipulations, il finit inéluctablement par s’effondrer. Soit il s’effondre par des fissures qui viennent de l’extérieur, soit par des fissures internes.
La fabrique du consentement donne l’impression d’avoir du pouvoir. En réalité, ce n’est qu’une impression. Ce qu’on obtient par la fabrique du consentement, ce n’est pas du pouvoir mais de la domination. Le pouvoir représente l’unité de la communauté alors que la domination représente l’attroupement de la communauté, attroupement suscité par la manipulation des émotions. Avec l’attroupement, la communauté s’affaiblit car son rassemblement ne se fait pas dans l’unité de la diversité permettant la symbiose efficace et efficiente de la communauté. Ce rassemblement se fait par la contrainte brutale (peur, violence, terreur) ou la contrainte douce (séduction, fausse persuasion, attraction des plaisirs, du confort passager et de la facilité), mais il n’obtient pas la coordination propre à l’unité.
Concession : puissance de la domination
Bien que la domination ne soit pas le pouvoir, elle peut s’avérer terriblement puissante et destructrice. Je préfère réserver le concept de pouvoir a quelque chose de constructif qui va dans le sens de la croissance de la vie. La fabrique du consentement peut rassembler des troupes, et par ce rassemblement représenter une véritable puissance exterminatrice. Cependant, l’unité d’une communauté sera beaucoup plus puissante. Non pas forcément en tant que puissance destructrice, mais en tant que puissance créatrice. En effet, reposant sur l’harmonie des diversités, l’unité permet à chaque personne d’oser exprimer sa créativité. Au contraire, dans le troupeau rassembler par la fabrique du consentement, il n’y a qu’uniformité et pensée unique. La créativité quand elle reste possible ne s’oriente que dans une seule direction, celle qui est fixée par le comité directeur de la manipulation générale.
Ces précisions faites, il ne faut cependant pas sous-estimer la puissance destructrice de la domination. Les totalitarismes nazis et communistes nous ont montré à quel point la domination pouvait être dévastatrice. Ces anciennes formes dominatrices ne se représenteront peut-être pas de nouveau dans le futur, mais il serait bien naïf de croire que toute domination soit écartée pour autant de notre avenir. Les comités jaloux du pouvoir qui fleurissent ça et là sur notre planète sont suffisamment inventifs pour créer de nouvelles formes de dominations dévastatrices. Le plus triste, c’est que certains comités croient agir pour le bien en fabriquant le consentement des masses. L’orgueil les aveugle, comme l’orgueil aveuglait la plupart des Numénoréens du mythe d’Akkalabêth que l’on trouve dans le Le Silmarillion de J.R.R. Tolkien.