Voici cet article au format pdf : La fabrique du consentement
Introduction
Citation du philosophe de tendance socialiste, libertaire et anarchiste américain Noam Chomsky :
« La propagande est à la démocratie ce que la violence est à un État totalitaire. »
La première partie du cours des humanités en première porte sur les pouvoirs de la parole. C’est un vaste sujet que nous aborderons tout au long du premier semestre, c’est-à-dire au moins jusqu’à fin décembre. Nous l’aborderons en tant que philosophes ou en tant qu’apprentis philosophes. Il se divisera en 3 parties :
- L’art de la parole
- L’autorité de la parole
- Les séductions de la parole
Pour introduire les pouvoirs de la parole, il m’a semblé bon de vous présenter deux penseurs américains et un penseur anglais qui ont eu un impact majeur sur le devenir du fonctionnement de nos démocraties occidentales :
- Walter Lippmann
- Edward Bernays
- Aldous Huxley
Je vais donc d’abord vous les présenter, je vous présenterai plus tard la philosophie. Je peux cependant vous dire déjà que le philosophe est l’ami de la sagesse, il recherche le bien et la vérité. En vous présentant ces 3 penseurs, j’essaie de vous montrer la manière de faire du philosophe.
Walter Lippmann et Edward Bernays
Le journaliste et économiste américain Walter Lippmann publie en 1937 un livre qui s’intitule : La cité libre. Ce sera l’un des actes fondateurs du néolibéralisme. Il conseillait en effet aux hommes politiques de nos démocraties de fabriquer le consentement des masses afin de les conduire vers l’adaptation de l’espèce humaine à la mondialisation de notre économie.
C’était une manière d’utiliser en sa faveur La Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique rédigée par celui qui deviendra le 3ème président des USA, Thomas Jefferson. Celui-ci y stipulait notamment :
« Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés… » (4 juillet 1776).
Remarquons que cette citation comporte de très belles valeurs mais que pour qu’elles restent de belles valeurs, il est fort utile de bien définir chacun des concepts, particulièrement ceux de liberté et de recherche du bonheur. En effet, ce n’est pas la même chose de viser la liberté d’indifférence et de viser la liberté de qualité. Ce n’est pas non plus la même chose de définir le bonheur comme recherche égoïste des plaisirs, et comme actes d’amour et de connaissance. Par ailleurs la notion de consentement peut désigner deux choses très différentes :
- Soit le consentement qui vient d’une persuasion et qui fait donc appelle à la manipulation mentale et affective ;
- Soit le consentement qui vient d’une conviction et qui fait appelle au travail de l’intelligence et de la raison.
Cette mondialisation de l’économie qu’il envisageait prétendait en effet servir la liberté. Le problème, c’est que ce mot est souvent très séduisant mais aussi très mal compris. Il nous est facile de nous dire amoureux de la liberté sans être sûr pour autant que nous donnions chacun le même sens à ce mot. C’est là qu’une réelle culture philosophique permet de discerner ce que pense réellement tel ou tel écrivain, tel ou tel orateur. C’est là que par manque de culture, on peut parfois trouver les propos de Walter Lippmann séduisants, alors même qu’il a une fâcheuse tendance à comparer la masse du peuple à une masse de bêtes sauvages. Voilà ce qu’il dit dans son livre The Phantom Public publié en 1927 :
« Le public doit être mis à sa place afin que les hommes responsables puissent vivre sans craindre d’être piétinés ou encornés par le troupeau de bêtes sauvages. »
Pour réussir à obtenir le consentement des masses, Walter Lippmann préconisait aux hommes politiques ou aux influenceurs de son temps, de prendre le contrôle des médias et des sciences humaines via les universités (ou l’ensemble du système scolaire). Ce contrôle permet en effet de réussir à fabriquer le consentement des masses. C’est ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui de l’ingénierie sociale, des relations publiques ou depuis que la manière de faire c’est encore plus développée, du storytelling. On retrouve alors l’application des grands principes de la rhétorique mis en évidence par les sophistes et les philosophes de l’antiquité, en tenant compte cependant de l’invention des nouveaux médias et des découvertes récentes réalisées au niveau de la psychologie des foules.
Walter Lippmann aura de nombreux disciples. L’un d’eux aura une influence importante avec son livre Propaganda écrit en 1928 : il s’agit du double neveu du médecin psychologue Sigmund Freud, l’américain Edward Bernays.
Nous allons commencer le cours de philosophie de cette année par un documentaire qui porte justement sur la vie d’Edward Bernays. C’est une entrée en matière qui peut vous sembler surprenante. J’avoue que c’est d’ailleurs la première fois que je commence mes cours par un documentaire.
Cependant, les circonstances actuelles de nos démocraties occidentales ainsi que le programme voulu par l’Éducation Nationale, m’incite à prendre le temps pour que nous le regardions ensemble. Il nous permettra de nous apercevoir que les vieux débats antiques autour des pouvoirs de la parole sont plus que jamais d’actualité. Même si ces vieux débats sont toujours d’actualité, il ne faudrait cependant pas sous-estimer les puissances tout à fait nouvelles que nous offrent les nouveaux médias, puissances nouvelles que l’antiquité ne connaissait pas. Plus particulièrement, il nous faudra considérer que depuis Walter Lippmann et Edward Bernays, un bon technologique gigantesque a été réalisé grâce en particulier aux G.A.F.A.M.
Le défi que je vous lance avant de regarder le documentaire sur Edward Bernays, c’est d’essayer de transposer ce que vous allez découvrir comme méthodes de propagande aux nouveaux moyens de communication que représentent les réseaux sociaux et internet, et les nouveaux moyens de pistage des citoyens que représentent nos téléphones portables et le Big Data.
- Regardons-le : il est ici.
- Interview du réalisateur du documentaire : ici.
- Compléments : article du journal controverse sur Walter Lippmann.
Edward Bernays et son livre « Propaganda »
De l’importance de la propagande selon Edward Bernays
Dès les premières pages de son livre Propaganda, Edward Bernays affirme une chose qui pourrait vous paraître surprenante si vous avez cru à la fable démocratique :
« La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays.
Nous sommes pour une large part gouvernés par des hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées. C’est là une conséquence logique de l’organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d’une société au fonctionnement bien huilé.
Le plus souvent, nos chefs invisibles ne connaissent pas l’identité des autres membres du cabinet très fermé auquel ils appartiennent. » (Propaganda, p. 31)
Cette manipulation consciente des masses, il l’appelle propagande :
« La minorité a découvert qu’elle pouvait influencer la majorité dans le sens de ses intérêts. Il est désormais possible de modeler l’opinion des masses pour les convaincre d’engager leur force nouvellement acquise dans la direction voulue. Étant donné la structure actuelle de la société, cette pratique est inévitable. De nos jours la propagande intervient nécessairement dans tout ce qui a un peu d’importance sur le plan social, que ce soit dans le domaine de la politique ou de la finance, de l’industrie, de l’agriculture, de la charité ou de l’enseignement. La propagande est l’organe exécutif du gouvernement invisible. »
Définition qu’il donne de la propagande :
La propagande moderne désigne un effort cohérent et de longue haleine pour susciter ou infléchir des événements dans l’objectif d’influencer les rapports du grand public avec une entreprise, une idée ou un groupe.
Il ajoute :
Cette pratique qui consiste à déterminer les circonstances et à créer simultanément des images dans l’esprit de millions de personnes est en réalité très courante.
Ce qu’il faut retenir, c’est d’abord que la propagande est universelle et permanente ; ensuite, qu’au bout du compte elle revient à enrégimenter l’opinion publique, exactement comme une armée enrégimente les corps de ses soldats.
Les gens susceptibles d’être ainsi mobilisés sont légion, et une fois enrégimentés ils font preuve d’une telle opiniâtreté qu’ils exercent collectivement une pression irrésistible sur le législateur, les responsables des journaux et le corps enseignant. Leur groupe défend bec et ongles ses « stéréotypes », ainsi que les appelle Walter Lippmann, et transforme ceux de personnalités pourtant éminentes (les leaders de l’opinion publique) en bois flottant emporté par le courant. (Propaganda, p. 43)
Les conseils qu’il donne pour manipuler l’opinion publique
- Repérer les leader d’opinion : soit en réussissant à leur faire accepter un rôle, soit en repérant une convergence entre leurs intérêts privés et les buts recherchés par les manipulateurs.
- Utiliser les clichés mentaux qui sont liés à la culture du pays et du groupe visés.
- Utiliser les ressorts classiques de l’émotion, plus particulièrement la peur des dangers, la colère, et l’attrait des plaisirs.
- Ne pas hésiter à inventer de toutes pièces des histoires marquantes, des images ou des vidéos impressionnantes en se servant de tous les moyens de communication disponibles.
- Repérer l’anatomie de la société avec l’imbrication de ses formations collectives et de leurs allégeances diverses.
- Se servir des médias, des enseignants, des experts comme des intermédiaires pour raconter l’histoire inventée, si possible sans qu’eux-mêmes n’en prennent conscience.
Listes des « faiseurs d’opinion »
- Le président de la démocratie concernée ;
- Le conseil des ministres ;
- Les sénateurs et autres élus ;
- Les gouverneurs, les maires, etc.
- Les présidents des chambres de commerce ;
- Les PDG et les Présidents des Conseils d’Administration des grandes entreprises ;
- Les présidents des syndicats ;
- Les responsables des journaux, des magazines ;
- Les écrivains les plus renommés ;
- Les producteurs de théâtre et de cinéma les plus connus ;
- Les présidents des universités ;
- Les professeurs les plus influents ;
- Les financiers les plus puissants ;
- Les sportifs les plus remarqués.
Nous pourrions ajouter à sa liste :
- Les vedettes de cinéma ;
- Les stars de la musique ;
- Les youtubeurs les plus connus ;
- Les stars des autres réseaux sociaux : Facebook, Instagram, Tiktok, Twitch, etc.
- Les opposants politiques qui peuvent être utilisés comme des chiens de garde, c’est-à-dire des personnalités qui font peur par leurs propos exagérés et qui servent à rabattre la foule dans la direction inverse. Un chien de garde est d’autant plus efficace qu’il est un idiot utile, c’est-à-dire une personne qui croit réellement à ce qu’elle dit mais qui se laisse emporter par son ressentiment plutôt que par sa raison et son intelligence. Plus elle sera prise par son ressentiment, plus elle en sera rendue idiote, imbécile, mais plus elle sera aussi utile à ceux et celles qui jouent avec son ressentiment. Remarquons qu’un arriviste, c’est-à-dire un homme faible de type fort comme le disait Max Scheler, ou autrement dit, un cupide, un assoiffé de pouvoir, peut tout aussi bien servir d’idiot utile. Au lieu de manipuler son ressentiment, il suffit de manipuler sa cupidité, voire de l’acheter. Cependant, il me semble que celui qui est pris par un réel ressentiment et qui ne se sait pas acheter ou manipuler est plus efficace car plus persuadé que ses pensées sont les siennes. Il ne sera pas vraiment dans le mensonge mais bien plutôt dans une déformation de la réalité qu’il croit vraie.
Les véritables faiseurs d’opinion
Edward Bernays ajoutent des remarques qui pourraient le faire passer pour un adepte des théories du complot. Cependant, il ne faut pas oublier que c’est d’abord un technicien de la propagande qui possède une grande pratique, qu’il a été très (trop) efficace et qu’il connaît particulièrement bien son domaine. Son carnet d’adresse était particulièrement bien rempli !
Voilà ce qu’il ajoute pages 50 et 51 :
Une telle liste comprendrait des milliers de gens. Chacun sait, toutefois, que nombre de ces dirigeants sont eux-mêmes dirigés, et par des individus parfaitement inconnus, pour certains, en dehors de leurs petits cercles. Plus d’un représentant à la Chambre, au moment de préparer son programme, suit les suggestions d’un cacique du parti dont le nom n’éveille aucun écho chez ceux qui n’appartiennent pas à l’appareil politique.
Et si, selon la formule consacrée, tel candidat à la présidentielle a été « désigné » pour répondre à « une immense attente populaire », nul n’ignore qu’en réalité son nom a été choisi par une dizaine de messieurs réunis en petit comité.
Il prend alors quelques exemples :
Le pouvoir des hommes de l’ombre est parfois flagrant. Celui du cabinet secret qui délibéra autour d’une table de poker, dans certaine petite serre de Washington, est entré dans la légende (il fait référence à la Green House on K Street pendant la présidence de Warren G. Harding.
Ceux qui sont intéressés par cette affaire peuvent lire cet article récent sur la mort possible par empoisonnement de ce président américain.
Il y eut un temps où un homme seul, Mark Hanna, dictait au gouvernement national les grandes lignes de sa politique…
Et finalement, il conclut :
Oui, des dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d’êtres humains. Généralement, on ne réalise pas à quel point les déclarations et les actions de ceux qui occupent le devant de la scène leur sont dictées par d’habiles personnages agissant en coulisse.
Plus important encore, nous ne réalisons pas non plus à quel point ces autorités façonnent à leur guise nos pensées et nos comportements.
Il prend alors un exemple pp. 51-52 d’influence mise en nous à notre insu dans le domaine de l’habillement :
Un homme qui s’achète un costume s’imagine choisir un modèle qui lui plaît, conforme à ses goûts et à sa personnalité. En réalité, il y a de grande chances que, ce faisant, il se plie aux ordres d’un grand tailleur londonien anonyme, lequel est en réalité le commanditaire d’une maison de couture très convenable, qui habille les hommes du monde et les princes de sang. Il suggère à cet échantillon trié sur le volet de porter du drap bleu plutôt que gris, une veste à non pas trois, mais deux boutons, avec des manches un soupçon plus étroites que ce qui se faisait la saison passée. Les distingués clients approuvent.
En quoi, se demandera-t-on, cela concerne-t-il M. John Smith, de Topeka (la capitale du Kansas) ?
Le tailleur londonien travaille sous contrat avec une grande firme américaine spécialisée dans la confection masculine, et il lui transmet au plus vite les modèles retenus pour les arbitres de l’élégance britannique. Dès réception de ces dessins, accompagnés de spécification quant à la couleur, à la qualité et au grain du tissu, la firme passe une commande de plusieurs centaines de milliers de dollars auprès de différents fabricants. Les costumes sont d’abord coupés et cousus selon les indications très précises reçues de Londres, puis présentés comme le nec plus ultra de la mode. À New York, Chicago, Boston, Philadelphie, les hommes soucieux de leur mise les adoptent aussitôt. Et, s’inclinant devant leur autorité, le citoyen de Topeka ne tarde pas à les imiter.
Nous avons là avant le célèbre philosophe français René Girard, une analyse précise du désir mimétique. Il peut être bon que je vous présente rapidement le fonctionnement des désirs. Vous trouverez de nombreuses articles sur mon site à ce sujet.
Il faut noter que déjà en 1927, Edward Bernays est conscient de l’importance de l’argent pour contrôler les moyens de communication. Aujourd’hui avec Internet, les réseaux sociaux et les coûts gigantesques que ces nouvelles technologies représentent en infrastructure matérielle et logicielle, il est clair que ce pouvoir d’influencer les masses est concentré dans un nombre de plus en plus restreint de personnalités internationales.
Edward Bernays le dit clairement p. 53 :
La concentration du gouvernement invisible entre les mains de quelques individus s’explique par le coût des dispositifs sociaux à mettre en œuvre pour contrôler les opinions et les comportements des masses.
Le rôle du « conseiller en relations publiques »
Voici la définition du « conseiller en relation publiques » (CRP) que donne Edward Bernays p. 54 :
Un conseiller en relations publiques est donc quelqu’un qui, en s’appuyant sur les moyens de communication modernes et sur les formations collectives constituées au sein de la société, se charge de porter une idée à la conscience du grand public.
Il ajoute :
Il ne se borne pas là, loin s’en faut. Il s’intéresse aux façons d’agir, aux doctrines, aux systèmes, aux opinions et aux manières de leur assurer le soutien populaire. Il se passionne pour des choses aussi concrètes que les produits bruts et manufacturés. Il sait ce qui se passe dans les services publics, dans les grandes corporations et dans des associations représentatives de pans entiers de l’industrie.
Par ailleurs quand il présente, en bas de la page 54, les moyens que le CRP utilise, on s’aperçoit que tout cela relève en grande partie des arts de la parole et donc d’une profonde maîtrise de la rhétorique :
Les moyens qu’il utilise pour y parvenir sont aussi diversifiés que les outils de la communication au sens large : l’échange verbale aussi bien qu’épistolaire, la scène ou le cinéma, la radio, les conférences, la presse quotidienne, hebdomadaire et autre. Le conseiller en relations publiques n’est pas un publiciste mais quelqu’un qui recommande le recours à la publicité chaque fois que cela lui paraît indiqué.
Dans les pages suivantes, p. 55 à 57, il décrit quatre étapes dans le travail du CRP :
- Dans un premier temps, il doit analyser le problème qu’on lui soumet. Il vérifie que l’offre envisagée par son client rencontrera l’adhésion du public ou qu’il y a un moyen d’amener l’opinion à y souscrire.
- Dans un deuxième temps, il s’intéresse au public potentiel. Il étudie les groupes que son client souhaite toucher, il identifie les leaders qui lui permettront de les approcher.
- Dans un troisième temps, il établit une ligne de conduite pour son client, les procédures et les usages que ce dernier devra observer dans tous les domaines où il entre en contact avec le public.
- Dans un quatrième temps, il doit être prêt à corriger les critiques qui pourraient naître vis-à-vis de son client :
Il doit tordre le cou aux rumeurs et à la suspicion, de les tarir à la source en leur opposant dans les meilleurs délais des informations exactes ou plus complètes, par l’intermédiaire de canaux de diffusion réputés pour leur efficacité.
Transposition à notre époque actuelle
Peu de personnes ont conscience aujourd’hui des progrès qui ont été réalisés dans la connaissance fine et actualisée des groupes sociaux. 3 facteurs me semblent avoir contribué à ce progrès fulgurant :
- Le développement des mathématiques discrètes et particulièrement ce qui concerne la théorie des graphes ;
- Le développement de l’application de l’algorithmique informatique à la théorie des graphes ;
- La généralisation des communications sous forme numérique qui s’est réalisée ces dernières années grâce à l’utilisation du web, des réseaux sociaux et des smartphones.
Cela a permis de concentrer entre les mains d’entreprises qui représentent les nouveaux rois de la terre, un pouvoir d’influence qui ferait rougir d’envie notre pauvre Edward Bernays. Les médias américains ont l’habitude de désigner ces entreprises par l’acronyme GAFAM (pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Elles ne sont évidemment pas les seules, et il est parfois difficile de savoir lesquelles sont finalement les plus puissantes. Palantir, par exemple, ne semble pas connue du public, alors qu’elle collecte des données secret/défense de nombreux pays.
Il nous est aussi difficile de savoir où en sont rendu la NSA, le FSB et l’équivalent chinois.
Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur la théorie des graphes ou seulement prendre un peu mieux conscience des nouvelles puissances mises à disposition des influenceurs, voici quelques liens utiles :
- Présentation de la théorie des graphes sur wikipedia ;
- Une liste des algorithmes de la théorie des graphes ;
- Une présentation de l’analyse des réseaux sociaux ;
- Un cours du CNAM qui présente les liens entre la théorie des graphes et les recherches possibles au niveau des réseaux sociaux.
Une fois qu’on a pris conscience de l’importance de la théorie des graphes pour la fabrique du consentement, on comprend mieux pourquoi nos États s’intéressent autant au Big Data et à la collecte de plus en plus massives de données sur les comportements de leurs citoyens. On comprend mieux aussi pourquoi les États deviennent de plus en plus les serviteurs des GAFAM.
Les mises en garde d’Aldous Huxley dans son livre « Le Meilleur des Mondes »
Dans ce texte Aldous décrit quelles seront les tactiques utilisées par les nouveaux dictateurs pour manipuler les foules, c’est en cela qu’il nous met en garde. Nous pouvons les résumer ainsi :
- Développer une technique de suggestion ;
- Développer une science des différences humaines, c’est-à-dire de repérer les compétences des personnes ;
- Inventer de nouvelles drogues pour aider les personnes à s’évader de la réalité ;
- Développer des manipulations génétiques pour que l’État puisse choisir les compétences des enfants qu’il fera naître (par GPA avant de pouvoir le faire par exogénèse ?) ;
- Encourager la promiscuité sexuelle et les jeux sexuels pour faire oublier par ce plaisir fort la disparition grandissante de la liberté ;
- Encourager les personnes à se livrer à des songes en plein jour, via les drogues, le cinéma, la radio. On pourrait y ajouter les séries et les jeux vidéos.
Il peut être bon de transposer ces 6 conseils à ce qui existe déjà à notre époque.
Conséquences pour le cours de HLP de première
Nous pouvons voir que la rhétorique des anciens est toujours utilisée par Edward Bernays et suggérée implicitement par Aldous Huxley. Il peut donc être utile de bien la connaître pour mieux comprendre les manipulations que nous pouvons subir.
Cependant, j’aimerais vous amener à comprendre que nous ne sommes pas tous égaux dans l’utilisation de ces nouvelles techniques de manipulation :
- Ceux qui possèdent la connaissance des techniques de fabrique du consentement (et pas seulement de la rhétorique) sont nettement avantagés ;
- Ceux qui disposent des moyens technologiques de repérer les leaders d’opinion et de diffuser leur propre propagande sont encore plus nettement avantagés. C’est là que des personnes comme Mark Zuckerberg ou Peter Thiel, ou encore Jeff Bezos, sont extraordinairement plus puissants que nous.
- Il serait donc naïf de croire qu’il suffit d’avoir quelques heures de cours sur la rhétorique en spécialité HLP pour augmenter particulièrement sa propre puissance d’influence, ou de résistance à la manipulation : c’est un travail de longue haleine qui repose sur le développement des vertus.
- Cela peut nous rendre plus vigilants et surtout plus prudents.
J’aurai l’occasion bientôt d’essayer de vous faire comprendre qu’il est possible cependant de développer une autre forme d’influence que celle de la fabrique du consentement, mais pour cela il faut comprendre qu’il y a deux formes d’exercice du pouvoir. Une qui relève de la tentation de domination sur les autres hommes, et l’autre qui relève de la véritable autorité. Ce sont deux cultures complètement opposées : deux modes de vie aux orientations contraires. Vous trouverez un diaporama à ce sujet ici.
Malheureusement, comme nous nous situons, selon la philosophe Hannah Arendt, dans notre monde post-moderne, en pleine crise de l’autorité, je crains fort que peu de personnes comprennent ce que veut dire réellement ce mot autorité. C’est pourquoi je vous ferai un cours sur la véritable autorité par opposition à l’autoritarisme ou au désir de domination.